C'était une après-midi banale, dans une ville banale, au cours d'une vie banale qui aurait pu être tellement plus pimentée. Il faisait trop frais pour une journée en fin de mois de juin, et des nuages lourds voilaient l'azur, prêts à exploser en une pluie diluvienne d'un instant à l'autre. Les arbres du parc aux hautes grilles noires au coin de ma rue s'agitaient au gré du vent, tout comme la fourrure sale de Thierry qui était toujours un abruti.
L'animal tirait inlassablement sur sa laisse jusqu'à s'en étrangler, et, bien qu'il fut petit, il me donnait du fil à retordre pour contenir son énergie. C'est alors qu'au loin, brisant le calme seulement composé du souffle du vent à travers les chênes et des suffocations que Thierry s'infligeait bêtement, une voix se mit à hurler. Mais pas quelque chose de commun, non: trois mots, trois ingrédients, "SALADE TOMATES OIGNONS", ou la formule complète d'un kebab en y ajoutant la sauce blanche. La dernière fois que j'avais entendu parler de kebab, c'était presque deux mois plutôt, lors de cette nuit tout près de ce garçon qui me hantait encore, dans le même lieu. En y pensant, il avait perdu son pari. L'addition avait dû être chère.
Soudain, Thierry se mit à couiner en tirant de plus belle sur sa laisse, la truffe en l'air, humant probablement l'odeur du grec dont il était question, et au tournant d'un buisson, il chargea de toutes ses forces pour courir jusqu'au repas, si bien que ma poigne ne put plus le retenir.
THIERRY !
Mon cri a retenti dans tout le parc, faisant taire les amateurs de kebab qui criaient la composition de leur formule préférée, mais cette saleté de chien stupide ne s'arrêta pas. Je me lançai à sa poursuite tandis qu'il fonçait vers un petit groupe de personnes attroupées autour d'un garçon qui s'agitait, une boîte jaune contenant de toute évidence un döner - le mot allemand pour pas faire de répétitions - à la main. Thierry se jeta sur lui, puis, de la même façon, un autre garçon fondit sur le chien lui-même, le couvrant de caresses avec une voix niaise que j'entendais de là où je me trouvais.
Je me figeai. Soudainement, mes jambes avaient cessé de répondre, et je m'étais arrêté net, le coeur battant. J'avais reconnu ce ton, juste avant d'identifier la tête brune dont j'aurais reconnu le sourire entre mille. Il releva la tête sans cesser de câliner mon chien qui avait attendri toute la petite assemblée et sembla balayer un instant le parc du regard. Deux de ses amis lui bouchaient la vue, et je l'apercevais maintenant à peine entre eux. Mais je savais qu'il me cherchait, ayant probablement entendu mon appel désespéré. Peu de chiens s'appelaient Thierry par ici. Et je savais aussi qu'il finirait par me repérer.
Mon cerveau finit par se remettre en marche et je m'approchai, hésitant. Je ne pouvais détacher mon regard de lui, et au bout d'un moment, nos yeux se rencontrèrent. Son visage sembla s'illuminer, comme si un rayon du soleil qui ne perçait même pas à travers les nuages s'y était logé. Il se releva, et tout autour disparut; les cris de ses amis n'atteignaient plus le monde que nous avions créé à nous deux. La fraîcheur ambiante avait été remplacée par une chaleur qui semblait irradier mon corps, en commençant par ma poitrine. Il sourit, avec cette tendresse infinie que je ne connaissais que de lui, et je ne pus que l'imiter.
Et à ses yeux d'où une joie intense perçait, je savais que nous avions tous les deux compris. Nous avions compris que le destin, en lequel il m'avait donné envie de croire, nous avait réunis pour nous dire de suivre la trajectoire de nos papillons qui dansaient ensemble et que nous avions mutuellement fait s'envoler en un regard. Et je réalisai que tout ce que je voulais était rester à jamais dans ses bras, dans lesquels je me serais enfermé quelques semaines plus tôt si j'en avais eu le courage.
Parce que j'étais, pour toujours, prisonnier de cet Amour.
Locked Up
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𝐋𝐎𝐂𝐊𝐄𝐃 𝐔𝐏 || nomin
Fiksi PenggemarQuand deux inconnus se retrouvent malencontreusement enfermés dans un parc public en pleine nuit.