chapitre 10 : 10 h 40

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Les volets des portes-fenêtres sont ouverts. Danger.

À terre !!!

Tout le monde autour de moi s'écrase au sol. Je rampe lentement vers les escaliers, pour voir la scène à travers la lucarne qui se trouve à mi-hauteur. J'ose à peine respirer. Je croise plusieurs personnes à plat ventre l'air intrigué. Ils me demandent par signes ce qui se passe et je leur intime de ne pas faire de bruit.

Les voitures roulent au pas sur la route. Elles seront au plus proche de la maison dans quelques secondes. Elles roulent toujours selon le bruit chaotique des moteurs à bas régime. J'aperçois d'ici les canons des fusils qui reflètent le soleil émergeant des nuages. Elles roulent toujours, plus proches. Elles atteignent le croisement qui mène à la maison. Je regarde derrière moi. Horreur ! La porte est ouverte. On peut me voir de la route. Le convoi s'arrête au croisement et deux voitures entrent de chaque côté de croisement. Je monte encore un peu, le plus silencieusement possible pour éviter les regards. La voiture passe, repasse.

Les moteurs s'arrêtent. Un bruit odieux se fait entendre, comme un vieux micro qui s'approche trop près du haut parleur. Je crise des dents. Une voix s'élève, résonnant dans le vallon :

Population de Saint-Junien, sachez que la révolution est en marche ! En ville le régime du Masque a été instauré. Le Masque aime toute la population de la ville. Les textes de lois seront édictés durant les prochains jours. Tous les habitants sont appelés à se faire recenser. Si certains échappent ai recensement ou désobéissent aux lois martiales et élémentaires du régime, la chasse à vue sera appliquée. D'ici là toute personne tentant de quitter la commune sera abattue comme un traître.

Les secondes s'écoulent. Insidieusement une image des moutons de l'agriculteur du coin écoutant en mâchant le discours précédant me vient à l'esprit. Je réprime difficilement un rire. Les moteurs reprennent dans l'autre sens et je les vois commencer à repartir. Ils portent tous un masque gris sur la face et des vestes de jogging noires.

Ce sont ceux qui nous ont attaqué tout à l'heure. Cela n'a pas dû être dur de prendre le pouvoir avec comme toute opposition un maire désabusé et des citoyens trop vieux pour bouger de l'endroit où ils sont nés. Je pense qu'une majorité de gens sensés ont quitté la ville vers des territoires encore moins exposés. La Corrèze de mes grands parents va finir surpeuplée. Lorsque je les voit disparaître au fond de la ligne droite je me relève et ferme la porte d'entrée.

C'est le signal pour tous de se relever. Tous respirent un grand coup avant de se rassembler dans la grande salle. Je m'assois en bout de table. Directement à ma droite se trouve Yann, et à ma gauche Gabrielle. Il est estimé pour son moral inaliénable et elle pour ses aptitudes et ses responsabilités de médecin.

Ils se sont tous assis sur des bancs, des chaises, des tabourets, des fauteuils. Dans l'attente. Je ne parlerai pas. Ce n'est pas mon tour. Alexandre se lève en premier. Chuchotements.

Je refuse de me soumettre à des sous-merdes pareilles. La tirade m'arrache un sourire.

je suis d'accord avec lui !! C'est Anthony bien sûr. Dès qu'il faut se battre il est là. Mélissa, qui est sa petite amie approuvé aussi. Des voix de choix, respectées. D'autres murmures d'assentiment. Je sais que Gabrielle ne s'élèvera pas contre Alexandre. Il est bien meilleur orateur qu'elle et prouverait par a+b que sa solution est la meilleure.

Le silence se refait. On se regarde. Certains ne s'opposeront pas non plus ouvertement à Alexandre, pour les mêmes raisons. Le seul à pouvoir le faire est à ma droite mais il ne le fera pas car il approuve. Moi aussi mais je veux savoir ce que pensent les gens ici. Romain se lève. Tout le monde sait qu'il a pesé le pour et le contre.

Le fait n'est pas exactement de se soumettre, mais de supporter. Nous sommes loin de la ville. Dès qu'il n'y aura plus de voitures ils ne viendront plus aussi régulièrement. Si le fait d'accepter leur loi nous apporte de la sécurité, je pense que la décision mérite réflexion.

Alexandre va s'énerver dans 3,2,1 ...

Mais c'est pas possible !! Il s'agit de supporter une dictature, ils nous enferment dans la commune et nous forceront à nous installer en centre ville plus tard, enfin c'est évident !! Une fois recensés nous n'aurons plus aucune liberté !! Est ce ça que nous voulons ? Cicéron fait son come back on dirait. Est ce que tout ce que nous avons fait tous ensemble jusqu'à maintenant n'aboutit qu'à ça ? Je vous rappelle qu'ils nous ont tiré dessus il y a moins d'une demi heure et je suis sûr que le "Masque" fait partie de ceux qui ont tenté d'assassiner Joseph !

Il est imparable. Je me lève. Il me regarde, indigné que je le coupé ainsi dans sa lancée. Je ne l'aurais pas empêché de continuer mais il s'enfonce dans son fauteuil et croise les jambes. Je prends une inspiration.

Je suis d'accord avec lui, mais comme il l'a dit c'est ensemble que nous avons accompli tout ce qui a été fait. C'est donc ensemble que nous continuerons. Je propose donc au vote : rejoindre la dictature du masque. Ma façon de faire fait très conseil d'administration et ça m'amuse. Qui s'abstient ?Quelques mains se lèvent, dont celle de Romain et de Gabrielle. Alban aussi étonnamment. En tout sept. Je demande à Yann de graver le tout sur la table. Il me regarde d'abord avec étonnement puis comprend : l'unité est à la postérité. Qui est pour ? Personne heureusement. Alexandre promène un regard noir sur l'assemblée, défiant quiconque de lever la main. Qui est contre ? Tous les autres lèvent la main avec moi. Motion rejetée. Nous nous opposerons de toutes nos forces à la dictature du Masque !

Les hourras sont de mise. Tout le monde est content. Yann et Alexandre s'approchent.

Ce n'est pas avec des couteaux de cuisine que l'on vaincra des fusils à pompe et des gilets pare balle. Dit Yann, laconique.

Alexandre, tu va former des espions et tu va aller me récupérer ces armes.

Tout de suite ?

Non. Forme les. Prends en 5.

Je m'adresse maintenant à tous.
Ils sont partis ! Pour fêter notre liberté, je vous invite à écumer les bars de mes voisins pour que ce soir fête batte son plein ! Préparez vous, préparez tout, faites de cette dernière fête avec l'électricité la plus belle qu'il n'ait jamais été !

Voilà que je fais des rimes maintenant. Les applaudissements retentissent dans la salle et le brouhaha s'instaure. Tout le monde est dans les préparatifs. Il reste néanmoins une dernière chose avant que je ne m'y mette moi aussi. Je vais rire je le sens. J'appelle Alban, Maxence, Margaux, Noémie, qui est un peu ma meilleure amie, et Léa, qui est un peu la meilleure amie de Lola. Je leur demande si ça ne les dérangerait pas de jouer au berger avec les petits moutons

Et moi je ferai le chien ! Dit Maxence

C'est sûr t'en a déjà la truffe ! Depuis que je le connais je me moque de son nez c'est plus fort que moi. En plus sérieux : Mais vraiment on va rentrer les moutons du vieil agriculteur qui est parti.

La FinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant