Chapitre 6 : Melancholia

54 7 8
                                    

Benjamin Stoner se remémorait l'un des cours qu'il avait donné il y a longtemps de ça, aux premières années d'étudiants en psychiatrie. Cela s'était passé lors du second semestre, son enseignement portait ce jour-là sur la dépression mélancolique.

« La dépression mélancolique... » avait-il annoncé tandis que les derniers arrivants s'installaient. « Qui parmi vous peut m'en dire quelque chose ? »

Le docteur Stoner avait prononcé ces mots tout en promenant son regard sur l'assemblée d'élèves assis dans l'amphithéâtre, le silence régnant parmi eux. Au bout de quelques instants, enfin, il avait vu une main se lever timidement.

« Oui ? » avait-il répondu, offrant ainsi la parole à un jeune homme.

Celui-ci avait hésité avant d'oser s'exprimer.

« La mélancolie... c'est un peu comme la nostalgie, non ? Donc... Est-ce que la dépression mélancolique, ce ne serait pas un type de dépression particulier chez les personnes nostalgiques ? »

Benjamin avait été atterré par cette réponse.

« Absolument pas, jeune homme. Vous confondez l'emploi du terme "mélancolie" dans le langage courant versus dans le langage psychiatrique. Dans notre discipline, sachez que la dépression mélancolique n'a rien à voir avec cela, et qu'il s'agit de la forme la plus de grave de dépression que vous pourrez rencontrer. »

Il avait dit cela d'un ton ferme, cherchant par là à ancrer définitivement cette information dans les esprits de ses étudiants.

« En plus des aspects classiques de la dépression – humeur triste, souffrance morale, anhédonie, ralentissement psycho-moteur, trouble alimentaire, trouble du sommeil... – il y a dans la dépression mélancolique des aspects délirants particulièrement dangereux pour la santé du sujet concerné. On retrouve par exemple des idées délirantes d'incurabilité, d'auto-dépréciation et de culpabilité extrême, de persécution, de destinée néfaste, de damnation... Les passages à l'acte médico-légaux – suicide, et meurtre également – sont à haut risque dans cette pathologie. »

Le jeune étudiant qui avait pris la parole s'était renfoncé dans son siège, un air un peu coupable sur le visage, et s'était empressé de prendre en notes les propos de son enseignant.

« Qui pourrait à présent me dire comment soigner une telle dépression ? »

Là aussi, au début, nouveau silence. Puis une élève avait lentement levé la main, et Stoner lui avait donné la parole.

« Avec des anti-dépresseurs ? » avait-elle demandé.

Benjamin avait hoché la tête.

« Les anti-dépresseurs, certes... Ceux-ci sont généralement efficaces pour la majorité des dépressions. Mais il est malheureusement courant qu'ils ne le soient pas assez pour la dépression mélancolique. Alors, quelle autre option nous reste-t-il ? »

Cette fois personne n'avait répondu.

Benjamin avait donc, pour esquisser la réponse, affiché au tableau le schéma d'un réseau de neurones.

« Comme vous le savez, avait-il repris, la dépression agit sur l'activité neuronale. Dans les cas de dépression particulièrement virulente, comme la dépression mélancolique, le seuil habituel d'activation des neurones ne peut plus être atteint. Je vous laisse imaginer les conséquences si les neurones d'un être humain finissent par ne plus pouvoir suffisamment s'activer... Maintenant, dites-moi, à quoi carburent les neurones au juste ? »

Cette fois la réponse était facile et un élève n'avait pas hésité à la donner.

« A l'électricité ?

JOKER : Le Cas Penny FleckOù les histoires vivent. Découvrez maintenant