Un parc. Noir de monde. Adultes, adolescents, enfants. Tous se côtoyaient dans un méli-mélo de bruits et de bousculades. Au milieu de toute cette agitation, une seule personne se démarquait par son absence de mouvement. Une jeune fille au teint mate, assise sur un banc, qui ne prêtait aucune attention au brouhaha environnant. Elle était là, perdue dans des pensées qui ne concernaient qu'elle, se demandant encore ce qu'elle avait fait pour mériter ça. Quelle injure avait-elle fait au Ciel pour qu'il décide de la punir de cette manière ? Cela devait sûrement être un horrible péché. Un péché qui la condamnait à une souffrance insupportable, à une blessure qui ne se refermerait sans doute jamais. Peut-être l'avait-elle méritée, ou alors était-ce un test pour savoir si elle méritait d'être heureuse. Elle ignorait si tout cela était vrai, mais une chose était sûre, la douleur qui résonnait dans sa poitrine était, elle, bien réelle.
Elle secoua ses cheveux bleus, histoire de reprendre contenance si quelqu'un l'avait aperçu dans ce triste état de morosité. Mais ce n'était pas le cas. Personne ne s'intéressait à elle. Sue eu un sourire désabusé. La situation était d'une telle ironie qu'elle aurait pu éclater de rire, si elle n'avait craint que son rire ne se transforme très vite en larmes. Elle qui d'habitude adorait être au centre de l'attention, était presque soulagée de se voir ignorée de la sorte. Peut-être parce que l'attention des autres n'était pas ce qu'elle souhaitait le plus, à présent. Peut-être qu'un seul regard d'une personne en particulier l'aurait rendu profondément heureuse, sans qu'elle demande quoi que ce soit d'autre. Mais c'était impossible. Elle le savait plus que quiconque.
L'homme de ses rêves, pour qui elle avait eu le coup de foudre, celui pour qui elle aurait fait n'importe quoi, en aimait une autre. Elle aurait dû s'en douter, la plupart le savait depuis longtemps, depuis des années. Mais elle avait préféré se voiler la face, et rester dans sa bulle d'illusion. Comme on dit, plus on fait semblant d'ignorer, plus la chute est haute. Et elle était tombée de si haut qu'il était incroyable qu'elle soit encore en vie. Enfin, son esprit, du moins. Même ses amies d'Osaka et Tori avaient échoué à la réconforter. Il aurait été normal qu'elle en veuille à l'ex-manager. Après tout, cette dernière lui avait volé son grand amour. Mais non. Certes, Sue était superficielle et égoïste, mais pas au point de ne pas vouloir le bonheur de celui qu'elle aimait. Si celui-ci était heureux avec la brune, alors elle s'en réjouirait pour lui. Du moins, c'est ce qu'elle essayait de penser. Car si elle était heureuse pour lui, comment expliquer cette souffrance qui lui déchirait la poitrine ? Comment expliquer que penser à lui était si intolérable ?
Un groupe de garçons de son âge passa devant elle, gesticulant bruyamment, porteur d'une telle joie de vivre qu'elle en eu la nausée. Quelques temps plus tôt, elle serait précipité pour les accoster, et serait sûrement reparti avec eux, au bras du plus mignon du groupe. Mais pas aujourd'hui. Même draguer ne la distrayait plus. À croire que l'ancienne Sue avait complètement disparue. Elle regarda autour d'elle. Toute cette joie, tout ce bonheur lui donnait mal au cœur. Pourquoi les autres y avaient-ils le droit, et pas elle ? C'était d'une injustice.... C'était sa faute aussi, elle pensait que changer d'air lui ferait du bien. Visiter Tokyo lui avait parue être une bonne idée. Sur le moment. À présent, elle regrettait d'être venue. Se levant pour partir, elle fit un pas, les yeux dans le vague, puis fut violemment projeté en arrière. Elle sentit quelque chose stopper sa chute, puis une voix s'exclama:
- Je suis désolée, mademoiselle ! Vous n'avez rien ?
La bleutée leva la tête, légèrement déboussolée. En position d'équilibre, elle aurait basculé sans le bras qui la retenait par la taille. Il appartenait à un jeune homme, plutôt grand de taille, aux longs cheveux bleus et aux yeux de la même couleur. Il la regardait d'un air inquiet, son maintien pourtant irréprochable, sans paraître dérangé par le poids de la jeune fille. Celle-ci mit du temps à reprendre ses esprits, d'autant plus qu'elle avait l'impression d'avoir déjà vu ce garçon quelque part. Réalisant enfin dans quelle situation elle se trouvait, elle reprit contenance, et se remit d'aplomb, enlevant par la même occasion le bras qui la retenait.