Partie I

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Si l'on en croit les médecins, la mémoire peut défaillir avec la vieillesse. Soit l'on ne se souvient plus de notre passé, soit elle sature et c'est le présent qui s'efface sans qu'on ne puisse rien y faire. Il n'y a pas moyen de contrer ce sacrilège ; aucun médicament n'a pu être mis à disposition pour mettre fin à cette défaillance du cerveau, lui pourtant si complexe et toujours en constante évolution, quoique parfois atteint d'une méchanceté sans égale. Il n'est pas indispensable de nommer certains hommes qui en ont été victimes en décimant des populations entières ou en détruisant des pays, physiquement et moralement.

Heureusement, des moyens ont été mis au point, permettant de, un court instant, figer le temps. Depuis longtemps on a su écrire, commençant par les chinois puis les Egyptiens qui écrivirent des rapports, des cours, enseignant alors ce sublime savoir de former des signes ou des lettres, qui forment alors des mots, puis des phrases, qui composent un texte. Beau moyen de rédiger des évènements avec nos sentiments. La photo aussi apparut, d'abord destinée aux plus riches lors des photos de famille ou les mariages, très chères. Elle a pu évoluer grâce à l'intelligence acquise des Hommes, et ainsi devenir courante, soit sous forme d'appareils fabriqués à cet usage, soit programmée dans les téléphones portables d'aujourd'hui.

Le médecin m'a dit, lorsque je lui avais posé la question sur la perte de mémoire, que je ne devais pas hésiter à écrire et prendre des photos. En relisant les textes, je pourrais me dire alors « Tiens, souviens toi ce moment, il s'était passé ça, tu avais bien rigolé. ». En regardant les photos, je pourrais me dire « Tiens, souviens toi, le paysage était tel que tu l'avais imaginé. ».

A peine m'eût il conseillé que je sortis de son cabinet en vitesse. J'avais couru sous la pluie jusqu'à ma voiture garée à deux rues du cabinet médical, soufflant un bon coup après m'être affalé sur mon siège, la porte refermée se prenant de violentes gouttes qui s'écrasaient agressivement contre la vitre. J'avais mis le moteur en route, sortant du quartier bobo de la grande ville, préférant rouler dans la campagne pour rejoindre mon petit village paisible qui était épargné de la pluie.

J'avais rejoint mon appartement, situé au rez-de-chaussée de l'immeuble composé de trois niveaux. C'était un vieil immeuble datant d'une cinquantaine d'années ayant été rénové il y a de ça deux ans, lui rendant sa couleur beige d'origine, précédemment recouverte d'une pellicule de champignons gris qui avaient envahis sa façade. Au-dessus de chez moi habitait une vieille Tunisienne - peu commun chez nous - qui adorait m'inviter chez elle pour boire son excellente tisane à base d'herbes et de plantes de son pays. Au dernier étage vivait un jeune couple qui allait déménager jeudi, soit dans trois jours.

Mon canapé s'affaissa lorsque je m'assis dessus. Depuis le temps que je l'avais il était un peu creux et on en ressentait les quelques ressorts. Tout mes meubles étaient usés, mais nombreux venaient de ma grand-mère qui me les avaient légués dans son testament, sachant que je préférais l'ancien au moderne. Le reste était de l'occasion. Mon petit appartement comportait seulement quatre pièces, une salle de bain, une chambre, une cuisine faisant également office de salle à manger et de salon, et d'une petite entrée. J'étais le plus chanceux cependant, un petit bout de jardin m'était offert, contrairement aux autres qui se contentaient d'un simple balcon.

Je me levai avec peine, la fatigue se faisant ressentir dans chacun de mes membres, et ouvris la porte vitrée qui donnait sur mon jardin faiblement éclairé par le soleil qui se couchait lentement. J'attrapais mon paquet de cigarettes sur le comptoir et sortis, m'asseyant sur une vieille chaise en plastique blanc cassée. Il fallait décidément que je m'achète un nouveau mobilier. J'allumai une clope, la coinçant ensuite entre mes lèvres pour commencer à fumer, ce qui me détendit peu à peu les membres. Je restais comme ça un petit moment, le temps d'avoir fini mon paquet où il restait trois bâtons de nicotine.

Je soufflai ma dernière fumée, la laissant s'évaporer dans l'air frais de cette soirée, la lune ayant remplacé le Soleil qui nous éblouissait de sa clarté tout au long de la journée. Les étoiles scintillaient dans le ciel très peu nuageux, les lampadaires allumés étaient la seule source de lumière suffisamment forte pour que je puisse écraser mon bâton de nicotine désagrégé.

Je me levais de ma chaise, la renversant par inadvertance. Je m'abaissais alors pour la remettre en place, puis entrai dans le salon, refermant la porte derrière moi. Il était sans doute vingt-et-une heures passées et je n'avais pas encore mangé, ce qui se fit ressentir lorsque j'entendis un grognement provenant de mon ventre. Moi qui, habituellement, mangeais comme quatre, ne mangeais plus beaucoup depuis que je m'étais plongé dans la cigarette. Comment avais-je fait pour sombrer ? Je ne m'en souviens plus exactement, j'aurais peut-être dû le marquer ou prendre une photo, j'aurai pu me dire « Tiens, souviens toi ce moment, tu t'étais fumé ta première cigarette, tu avais bien rigolé. ».

La sonnerie du micro-onde me sortit de mes sombres songes dans lesquels je m'étais plongé, me soulageant inconsciemment. J'ouvris l'appareil électronique et sorti les pâtes au gruyère râpé fondu dans une assiette, déposant cette dernière sur la table où des couverts avaient été posés après avoir mis l'assiette à chauffer. Je m'assis alors en face de ce plat fumant qui me ragoûtait bien peu, et enfournai une première fourchetée en bouche, grimaçant à cause de l'intense chaleur qui se propageait dans ma bouche.

J'avais peu mangé, n'ayant pas pu finir mon assiette tant j'avais l'estomac retourné. Étaient-ce les effets de la nicotine ? Je n'en savais trop rien, mais j'étais sûr que mon état sanitaire n'était pas mieux qu'avant. Mon médecin m'avait dit de ne pas tomber là-dedans, mais j'étais tellement frustré et déboussolé à cet instant que j'avais préféré en fumer à n'en plus m'arrêter, et voilà où ça m'a mené.

...ᘛ⁐̤ᕐᐷ

Bon je n'aime pas ce chapitre :(

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