Hugo (1)

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- Mais oui je suis choqué ! tu m'as toujours dit que j'étais ton PREMIER petit copain ! 

Il commence sérieusement à me fatiguer. C'est vrai quoi, il n'a jamais cherché à creuser. Je pose mon sac par terre et me tourne vers lui, poings sur les hanches : 

- la ferme, Jackson. Je n'avais tout simplement pas envie de parler du premier.

Il prend un air penaud.

- Bon, d'accord. Mais... Tu veux bien m'en parler maintenant ? 

Je réfléchis activement. Il va bientôt falloir récupérer Charlotte. Du coup, ben... J'ai bien le temps de parler un peu de ce gars, non ? 

Une bouffée de souvenirs me remontent à la tête, progressivement. Je revois la Lily de presque huit ans de moins, tout juste une dizaine d'années, qui prend un bus sur les ordres de sa belle-mère...

Lily attendait. On ne discutait pas, on obéissait. Sinon, on était punie. Alors, elle attendait ce bus qui la mènerait à son nouveau collège. Une idée de sa belle-mère, de l'envoyer en pensionnat. Elle n'avait pas envie de s'occuper des gosses orphelins de son défunt petit copain. Pourtant, à cause de ces fichus papiers administratifs, elle récupérait la garde de Lily. 

Cette dernière venait d'avoir dix ans. Bien qu'encore en CM1, ayant redoublé une classe à cause de dyslexie, TDAH et troubles des capacités motrices, sa belle-mère parlait de collège spécialisé pour parler de l'internat. Elle ne discutait pas. Elle ne discutait jamais. Elle obéissait. 

Le bus arriva. Un petit bus miteux, minuscule, avec de la peinture rouge écaillé et des bandes blanches sous les fenêtres aux carreaux brisés. La gamine frissonna. Aucune envie de se retrouver là-dedans. Pourtant il lui fallut obtempérer, et suivre sa belle-mère qui cherchait déjà une place dans le minibus rouge. 

Le trajet dura une bonne heure. La petite s'inquiétait de se retrouver si loin de la ville. En pleine campagne... Le bus déchargea devant un long et haut mur de béton gris, qui ne lui disait rien de bon. Une lourde grille rouillée, acier peint en noir, qui bascula lourdement pour faire entrer jeunes et parents. Ils étaient six jeunes, en fait. Un garçon qui secouait sans cesse la tête, une fille rousse minuscule avec de grands yeux écarquillés, un autre gars qui  restait silencieux, la main de son père posée sur son épaule en signe de protection. Il y avait un grand blond qui fronçait les sourcils en marmonnant, une brune souriante quoi qu'elle fasse. Une autre fille aux longs cheveux, qui semblait vouloir prendre toutes les mesures possibles pour se protéger d'on ne sait quoi. Lily ne put s'empêcher de se passer la main sur l'épaule, et elle chassa un souvenir de sa dernière rencontre avec "son" manticore. 

Les parents passaient à l'accueil avec leur progéniture, donnait un prénom/surnom et marmonnaient autre chose à voix trop basse pour être entendu. La fille de l'accueil, ado, dans les dix-huits ans, carré blond, rouge à lèvres vif, chew-gum consciencieusement mâché, demanda à la belle-mère quand ce fut leur tour : 

- Qui, quoi ? 

- Lily. Et... 

La suite était encore une fois dite à voix trop basse. Comme avouée avec honte. La femme de l'accueil tapa sur des boutons de son ordi, son imprimante puis sa plastifieuse, et tendit une carte à Lily, qui l'épingla sur sa poche-poitrine. 

La fille de l'accueil ouvrit un petit portillon et s'effaça pour les laisser passer. Elle indiqua un chemin aux parents, et prit en charge les jeunes.

- Je m'appelle Edna, et je serais l'assistante, d'accord ? C'est marqué là. (elle désigna la poitrine.) Si vous avez besoin d'aide, parlez. 

Lily opina, en se demandant sincèrement pourquoi diable sa belle-mère avait choisi ce collège là et pas un autre. Elle suivit Edna qui leur montra leurs chambres... Elle était avec Val. Valentine Dumont, dite Val', petite brune au chignon-crayon, grand sweat-shirts oversizes unis, avec des inscriptions, et aux jeans slims. Val voyait des démons partout. Sur les murs, sur les portes, sous son lit, dans ses draps, dans son assiette, dans les pages du livre, sur la poignée, dans le verre d'eau. Elle était persuadée qu'ils voulaient l'attraper, alors elle se protégeait un maximum. 

Au début, elle avait même cru que Lily était un démon. 

Je regarde ma montre. Percy me fixe, toujours bouche bée. J'ai le temps de finir, au moins d'aborder le sujet qui fait 'mal', soit Hugo. Je reprend mon récit après avoir vidé un verre d'eau. 

Ensuite, passés les premiers jours de suspicion, Val commença à vouer une entière confiance à Lily et aussi à Edna. Tous les six qui étaient arrivés en même temps formaient à présent une "bande de potes", malgré quelques troubles mentaux de quelques membres. Les amis étaient donc Val, Lily, Mina, Sacha, Mike, et... Hugo. 

Hugo était différent. Il pensait beaucoup. Il lisait, aussi, et comprenait ce qu'il lisait. Il parlait aussi avec Lily. Plus qu'avec les autres. 

- Les hommes sont des animaux. Dit-il un jour sur le ton de la confidence. Et cette seule phrase eut le don de faire cogiter la petite Wood une semaine entière. Finalement, elle lui servit une autre phrase : 

- Les hommes se raccrochent à leurs croyances car elles leur font croire qu'ils sont supérieurs. Lui servit-elle la semaine suivante. Semaine après semaine, ils avançaient dans leur discussion et leur raisonnement. Lily appréciait ces moments, toutes les deux semaines, qui se transformèrent vite en toutes les semaines, puis tous les jours. 

- Donc tu discutais de philosophie avec un mec ?! c'est même pas une vraie relation amoureuse, se récria Percy en croisant les bras. Lily leva les yeux au ciel, et lui grogna de la laisser continuer. Elle prit un cookie pour le grignoter... Puis leva les yeux vers l'horloge. 

Merde ! Charlotte !

- Tu auras la suite une autre fois, déclara-t-elle. A toute à l'heure !!

Elle prit son sac, enfila un manteau, elle avait gardé ses bottines au pieds. Tandis qu'elle ouvrait la porte, elle entendit :

- tu vas où ?! 

Elle ne prit pas la peine de répondre, claqua la porte et fila dans le couloir. Elle appuya frénétiquement sur le bouton de l'ascenceur, entra. Les portes se refermèrent sur elle.

Quelques OS...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant