Un partage équitable

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Joséphine, Bart et Georges arrivèrent à Koeldumb, une petite ville portuaire, bien qu'elle soit la plus grande de l'île nommée Selva. Sur le bateau, la femme enceinte avait été prise en charge par un vieil homme avec des connaissances en médecine, mais elle devait tout de même se rendre chez un docteur afin d'éviter tout danger, car elle avait perdu beaucoup de sang. Le problème, c'est que cela coutait très cher et ils n'avaient pas assez d'argent pour payer le médecin et acheter une maison. Alors Georges fit un emprunt. Là, le docteur lui annonça qu'elle avait perdu l'un de ses enfants et que le survivant était une fille qui semblait être en bonne santé. Joséphine, quant à elle, avait bien été prise en charge par les marins et l'homme et devait se reposer et éviter toute sorte d'effort. Son neveu était rassuré de savoir que sa tante allait bien.
Avec l'argent qui restait, ils ne purent acheter qu'une vieille maison délabrée à l'extérieur de la ville. Cela changeait de leurs appartements dans le palais à Juneton, dans le royaume Lomiôn, mais il allait falloir s'y habituer car c'était ici qu'ils habiteraient désormais. L'extérieur de la maison n'était pas agréable à regarder, il n'y avait aucune plante ou fleur. L'intérieur n'était pas vraiment mieux ; il y avait une pièce avec 4 vieux matelas posés au sol, une petite cuisinière à bois avec une table et quelques chaises, ainsi qu'une petite salle de bain. Joséphine alla directement se coucher afin de reprendre des forces. Durant le voyage, elle avait eu le mal de mer, ce qui n'était pas la meilleure chose lorsque l'on doit passer trois mois sur un bateau. Georges, lui, alla sur la place centrale pour essayer de trouver un petit travail. Il se dit que dans la taverne il trouverait peut-être quelqu'un ayant besoin de main d'œuvre ou simplement qu'on lui rende service. L'endroit, qui était plein de pêcheurs, était tenu par une grande femme, environ la cinquantaine. Elle avait les cheveux gris et le visage ridé par les années de travail acharné qu'elle avait sûrement vécu. Le jeune s'approcha de la barmaid.
« Bienvenue chez Zax. Vous êtes pas du coin, vous, j'me trompe ? interrogea la propriétaire. - Dites donc, vous avez l'œil. Je m'appelle Georges.
- Disons simplement que je connais presque tout le monde ici. Moi c'est Madison, mais
appelez-moi Madi, j'préfère.
- Oh ! Alors vous allez pouvoir me renseigner.
- Peut-être... mais j'vous garantis rien.
- Je cherche... du travail. Je suis arrivé ici ce matin et je ne connais personne. »
La femme réfléchit un moment puis pointa du doigt un homme seul. Il semblait se méfier de
tout le monde. Il avait les cheveux gris, de petits yeux bruns et portait un long manteau sur son corps svelte.
« Vous voyez ce type ? C'est Harman. Il est pas très apprécié dans l'coin, mais il cherche toujours des gens pour l'aider.
- Très bien, je vais lui parler.
- J'sais qu'il fait un peu peur de loin, mais, croyez-moi, il vous aimera à sa manière. J'espère vous avoir été utile. »
Georges se présenta à l'homme. Après une longue discussion, Harman donna rendez-vous au jeune homme devant les docks au point du jour. Ils discutèrent encore un moment.
Joséphine ne parvenait pas à dormir, elle repensait trop à son mari. « Je l'ai abandonné » se disait-elle. La femme se mit à pleurer. En entendant sa mère, Bart sortit de la cuisine dans laquelle il jouait.
« Pourquoi tu pleures, maman ?
- Tu sais, des fois, on doit tout quitter pour mieux vivre.
- Comme nous ?
- Oui, exactement, répondit-elle en séchant ses larmes. Eh bien, ça veut aussi dire qu'on doit
quitter des gens qu'on aime. Viens ici Bart. »
La femme présenta ses bras pour lui faire un câlin.
« Je t'aime maman.
- Moi aussi mon fils. Tu veux m'aider à préparer le repas ?
- Bien sûr ! »
Les deux se mirent donc au travail. Ils firent un potage avec quelques légumes et du pain.
L'enfant semblait adorer cuisiner, il n'arrêtait pas de sourire montrant des petites dents blanches. Quand Georges rentra, le souper était prêt. Ils mangèrent tous trois assis autour de la table en
discutant.
« Vous-êtes-vous bien reposée, ma tante ?
- Oui, je me sens mieux, même si je pense qu'il ne faut pas s'attendre à ce que je puisse faire
le tour de la ville en courant à cloche-pied. »
Joséphine, Georges et Bart éclatèrent de rire. Cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient amusés
ainsi.
« Tu as trouvé un travail, Georges ? »
Celui-ci hésita, puis finit par répondre.
« Oui... Je... commence demain, à l'aube.
- Je peux venir avec toi ? demanda le jeune garçon
- Non, c'est trop dangereux. Tu pourrais te blesser, dit la mère
- Mais je suis grand !
- Peut-être, mais il faut que tu aides ta maman à la maison.
- Bon, d'accord, se résigna-t-il.
- Un jour tu pourras venir, et vous travaillerez ensemble, n'est-ce pas Georges.
- Voilà... on fera ça... »
L'homme angoissait, il ne pouvait pas amener son cousin avec lui, peu importe son âge. Ils
pourraient tous les deux avoir des problèmes.
Le lendemain, Georges se leva très tôt. Il ne pouvait pas être en retard pour sa première journée de travail. Il traversa toute la ville en courant en direction du port. Harman était déjà là. Il attendait assis au bord du quai, les cheveux au vent avec un couvre-chef vert. Georges vint s'asseoir à côté de lui. L'autre homme tourna la tête et reconnu le jeune.
« Te voilà enfin. Je ne suis pas là depuis longtemps, mais sache que je n'aime pas attendre. - Très bien, quel est le plan ?
- Déjà c'est moi qui pose les questions, toi, tu ne fais qu'accepter. Et de deux, regarde-moi. - Très bien. »
L'homme au chapeau montra à son compagnon comment voler. Il traversa le quai en largeur en passant juste derrière deux femmes portant une robe en soie rouge ornée de dentelle pour l'une et une robe bleu marine avec des roses cousues dessus pour l'autre. Sur leurs vêtements se trouvait une poche. Harman mit discrètement la main dedans et en sortit une bourse remplie de denier puis revint vers Georges. Celui-ci, qui était à la fois gêné et admiratif, essaya de prendre quelque chose de plus petit. L'occasion se présenta à lui lorsqu'un paysan passa avec une brouette débordant de fruits et de légumes. Il usa de la même tactique : il longea le quai, prit discrètement une pomme dans le contenant puis revint comme si de rien n'était sans jamais se retourner. À sa plus grande surprise, le stratagème fonctionna, mais le voleur ne semblait pas ravi.
« Une pomme ? C'est tout ?
- Mais monsieur, je n'ai jamais fait cela auparavant.
- Va pleurnicher dans les jupons de ta mère. Tu peux déjà être content que j'ai accepté de
faire équipe avec toi. Suis-moi, on va au marché, là-bas, faudra être discret, mais au moins, je vais m'en... enfin... on va s'en faire plein les poches, mais surtout moi.
- Vous n'avez pas changé d'avis sur le partage du butin, j'espère.
- On verra ça plus tard, et puis, de toute façon, c'est moi qui commande. »
Il y avait plein de monde sur la place, et cela ravissait Harman. Ce dernier partit dans son coin
voler de l'argent comme il l'avait fait tout à l'heure. Georges, quant à lui, eut une idée : il décida de commencer sur les plus vieux. En effet, ils n'étaient pas aussi vifs que les jeunes, ce qui pourrait rendre la tâche plus facile pour le garçon. Au début il manqua de se faire voir à plusieurs reprises, puis au fur et à mesure, il réussit à être plus discret et à prendre plus d'argent ou des bijoux ayant plus de valeur.
Après trois bonnes heures passées à détrousser les plus vulnérables, les deux hommes se retrouvèrent devant une grande église, la seule de Koeldumb. Chacun montra son butin. Harman fut surpris de la quantité de chose que son acolyte avait pu ramasser et il montra un grand sourire.
« Bien, bien ! Donne-moi tout ça. À la fin du mois, on partagera équitablement le butin amassé.
- Donc je ne gagnerais rien avant ?
- Ne t'inquiète pas, le 1 , c'est la semaine prochaine.
- Alors tenez. »
Georges fit bien attention à ne pas tout donner. Il prenait un risque en faisant cela, mais s'il ne gardait pas cet argent, il ne pourrait pas se nourrir et rembourser son prêt. Harman montra un lieu de rendez-vous différent de celui de ce matin, ce serait leur point de rencontre jusqu'à la fin du mois. Georges se rendit à la taverne et le bandit partit à l'opposé.
Joséphine décida d'aller se balader avec son fils. Elle n'avait aucune envie de rester à la maison jusqu'à son accouchement. Près de leur maison se trouvait une petite vallée fluviale presque inhabitée. On y trouvait de nombreux arbres tels que des ifs, des chênes et des bouleaux. Il y avait aussi des gros rochers. La femme enceinte s'assit sur l'un d'eux tout en regardant Bart jouer le long de la rivière. Elle l'avait bien mis en garde sur les dangers de la rivière. Le petit enfant trouva un bâton au sol. Il le ramassa, puis commença à jouer avec, comme s'il s'agissait d'une épée. En voyant son garçon s'amuser, Joséphine repensa à son enfance. Quand elle avait le même âge, elle jouait dans les jardins du palais avec Edwin. Ils se connaissaient depuis toujours. La jeune femme se souvint de son premier baiser avec son mari : c'était en automne, il pleuvait des cordes et il y avait de l'orage. Ils avaient 14 et 17 ans, le jeune homme avait réussi à monter jusqu'au balcon de son amoureuse. Quand celle-ci le remarqua, elle lui ouvrit la fenêtre et alla chercher un linge. Ils discutèrent un moment. Les deux jeunes se rapprochèrent et échangèrent un long et langoureux baiser.
Quand Joséphine revint à la réalité, elle vit Bart avec un poisson au bout de son bâton. L'enfant avait un air surpris ce qui fit rire sa mère. Ils se promenèrent un peu dans la forêt et y trouvèrent une vieille cabane complétement vide avec la clé sur la porte. Cela les intrigua, mais
ils ne restèrent pas plus longtemps et rentrèrent chez eux faire griller le poisson.
La taverne était aussi pleine qu'hier. Georges se dit qu'il pourrait devenir ami avec certains habitants de la région. Il demanda donc à Madi qui était la personne la plus sociable à son avis. « Sociable ? Il y a Trukhin. Il fait partie d'une grande famille de marchand. Ce type adore
discuter, surtout raconter sa vie. Le mieux, c'est qu'y a toujours une note drôle à la fin. - Donc, j'imagine que c'est l'homme avec cinq personnes autour de lui ?
- Exactement !
- Merci beaucoup. »
Ce fameux marchand était un peu enrobé, avait des cheveux châtains, de grands yeux ronds verts, une bouche toute claire et une peau bronzée. Georges se dirigea vers lui et commença à écouter l'histoire qu'il racontait.
« Alors, alors. Une fois, à Oblait, le royaume exotique, ma belle-sœur, Martha, trouva un chiot tout petit et mignon. Elle décide de le ramener chez-elle, ici. Il faut savoir que chez elle, elle a déjà un chat, mais elle ne se fait pas de souci. Martha arrive à la maison, présente le chiot à son chat, tout se passe bien. Un jour, elle doit aller en ville pour faire je sais plus quoi, bref. Quand elle revient, elle trouve une boule de poil. Elle ne comprend pas ce qui se passe. Quand elle appelle le chat, il ne vient pas. Bah, du coup elle va voir le chiot, et là, elle le voit tout seul avec du sang près de lui. Elle décide d'aller voir un de ses amis qui vient de la région dans laquelle elle a trouvé le chiot. Et là, révélation : c'était pas un chiot... mais un gros rat qui mange des chats ! Bon, moi, il faut que j'y aille, revenez demain pour une autre histoire. »
Tout le monde se mit à rire, puis partit. Georges s'approcha de Trukhin pour lui parler. « Excusez-moi, Trukhin, c'est bien ça.
- Oui, si c'est pour une de mes histoires, je l'ai déjà dit, revenez demain.
- Non, ce n'est pas pour ça.
- Ah, alors c'est pour de l'argent. Désolé, mais j'en ai pas.
- Quoi ? non, je ne veux pas d'argent, je veux simplement découvrir un peu la ville et les gens, on m'a dit que vous aimiez bien parler. »
Le jeune suivit le marchand qui sortait de la taverne.
« Oh, alors on vous a dit vrai. Julian Trukhin, enchanté.
- Georges Laros, enchanté également.
- Écoutez, je n'ai vraiment pas le temps de faire plus ample connaissance avec vous
aujourd'hui. Revenez demain soir à la taverne Zax vers 18 heures, j'y serai. »
Les jours passèrent et la fin du mois était de plus en plus proche. Georges allait enfin obtenir sa part du butin, Julian était devenu son meilleur ami et Joséphine sentait que son enfant allait bientôt naître.
Le jeune se rendit comme tous les matins au même endroit pour détrousser les passants avec Harman, mais cette fois il devait lui donner sa part du butin. Pour une fois il arriva avant lui. Il se dit que son équipier devait s'être réveillé un peu trop tard, mais comme il ne savait pas où il habitait il ne pouvait pas se rendre chez lui. Georges patienta cinq minutes, dix minutes, trente minutes, Harman ne venait pas. Il décida de rester encore une demi-heure, mais celui qu'il attendait ne venait pas. Soudain, une idée lui passa par la tête. Le garçon se rendit chez Zax pour poser une question à Madi. Comme d'habitude, peu importe l'heure, la taverne était pleine.
« Madi ! Madi !
- Oh ! Salut Georges. J'ai pas l'habitude de te voir si tôt, tu veux boire quelque chose ?
- Non, je voulais juste te poser une question : est-ce que Harman t'a dit quelque chose ces
derniers jours, ou bien est-ce que tu sais simplement quelque chose sur lui en ce moment.
- Il me semble pas, pourquoi. Attends laisse-moi réfléchir... Ah si, il a dit qu'il allait bientôt partir, mais je pense que tu es au courant de ça.
- Je le savais ! Dis-moi, tu sais où il habite ?
- En face d'une échoppe de tissu appelée... Saphir Rouge. Georges, qu'est-ce qu'il y a ?
- Je t'expliquerai plus tard.
- Fais attention à toi. »
Il partit en courant. Il était déjà passé devant ce magasin et se souvenait à peu près de son
emplacement dans la ville. Il essaya de pousser le moins de gens possible mais cela était difficile car les rues étaient très étroites. Il finit par arriver devant Saphir Rouge. Georges se retourna et rentra par la porte qui était ouverte. À l'intérieur, il y avait deux portes. Heureusement, c'était écrit Harman sur l'une d'elles. Le jeune homme frappa violemment à la porte, mais personne ne répondit. Il ressortit et demanda à plusieurs personnes si elles avaient vu celui qu'il recherchait. Après avoir posé la question plus de trois fois, quelqu'un répondit qu'il était allé prendre un bateau. Georges repartit en courant en direction des docks. Là, il ne vit qu'un navire qui partait. Soudain, il vit Harman, il était dessus, et il saluait son ancien acolyte, à qui il avait volé une grande partie de son butin. Il rentra dépité en se disant qu'il avait tout de même bien fait de ne pas tout donner à chaque fois.
Joséphine jouait avec Bart à la maison, quand elle sentit la première d'une série de contraction. Bart ne comprit pas ce que sa mère avait. La femme se coucha sur l'un des matelas. Deux heures plus tard Georges rentra et vit sa tante allongée. Il comprit la situation et aller chercher une sage-femme. La mère transpirait et le petit garçon était effrayé, il pensait que sa mère allait mourir.
Le lendemain matin, après avoir passé une nuit blanche, la femme sur le point de donner la vie sentit le bébé arriver. L'accoucheuse se précipita vers elle et l'aida et Georges lui prêta sa main. Elle la serra très fort, mais il savait que cela en valait la peine. Soudain, on vit l'enfant sortir sa tête, son corps et finalement ses jambes. C'était une fille que Joséphine décida de nommer Gaëlle, en l'honneur de sa mère malheureusement décédée.

Le Royaume de Lomiôn Où les histoires vivent. Découvrez maintenant