Un long voyage

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Georges et Bart étaient désormais seuls dans leur maison et ils avaient bientôt fini les préparatifs du voyage. Avant de partir, il leur fallait dire au revoir aux gens qu'ils avaient côtoyé pendant un peu plus de quatorze ans. Ils allèrent alors dans la taverne Zax mais juste au moment de rentrer, Bart se souvint qu'il avait été exclu à vie de cet endroit. Georges alla donc demander à Madi si son cousin pouvait rentrer une dernière fois dans la taverne avant de partir.
« Tu veux dire que toi et ta famille n'allez jamais revenir ici ? - En tout cas, ce n'est pas prévu.
- Mais, vous allez où ?
- Dans le royaume Lomiôn.
- Bon, bah fait rentrer Bart alors. »
Georges alla chercher son cousin à l'extérieur et le fit rentrer. Le garçon salua les quelques amis qu'il avait là et discuta avec eux. Julian Trukhin s'approcha de l'adulte.
« Alors, comme ça, tu pars ?
- Exact. Je suis désolé, j'ai pas pu te prévenir avant, je devais préparer les affaires pour le voyage.
- C'est pas grave, tu sais qu'on est amis et que je ne t'en voudrais pas si tu m'abandonne ici... - Mon but n'est pas de t'abandonner.
- Je n'ai pas fini ma phrase : est-ce que tu acceptes de m'emmener avec vous ?
- Écoute, ce n'est pas méchant, mais nous n'avons pas beau...
- Nous partirons avec mon navire, je connais les mers et les océans comme le fond de mes poches.
- Mais c'est juste génial !
- Je le sais, c'est pour ça que je le propose à mon meilleur ami. » Georges et Julian se firent une accolade.
Après s'être donné rendez-vous au port de Koeldumb, Bart et son cousin partirent chercher leurs affaires chez eux et Trukhin chez lui. Georges remplit trois grosses sacoches tandis que le jeune n'en prit qu'une. Ils sortirent et fermèrent la porte de la maison. Ils avaient vendu cette dernière quelque jours auparavant et donnèrent les clés aux nouveaux propriétaires.
Arrivé au port, Bart et son cousin furent sidérés par l'allure du bateau. Le navire était fait d'un bois sombre, sa proue et sa poupe étaient des sortes de tours de château carrées et une voile portant l'inscription « Trukhin » était attachée à un mât surmonté d'une étoile en métal doré.
« Bienvenue dans mon embarcation et voici mes hommes d'équipage ! dit Julian en montrant le pont du navire.
- C'est magnifique ! s'exclama Bart.
- C'est vraiment ton bateau ? demanda Georges.
- Non, je l'ai volé, d'ailleurs, il faut qu'on parte vite ! Ils nous suivent !
- Quoi ? crièrent les deux cousins en chœur.
- Mais non, bien sûr que c'est le mien. Il est dans notre famille depuis des générations. Tu
n'as pas vu la voile ? Bon, ne perdons pas plus de temps. Mettons les voiles ! » Trukhin fit sortir le bateau du port et les trois amis commencèrent leur long voyage.
Bart descendit dans la cale pour voir à quoi cela ressemblait. Il pensait y trouver simplement des tonneaux, ou encore des caisses. Il s'avéra qu'elle était plus intéressante : l'endroit était divisé en plusieurs salles qui étaient en fait des chambres. Dans chacune d'elles, il y avait une petite ouverture devant laquelle on avait placé un canon.
Alors qu'il allait sortir de la cale, Bart entendit un bruit, comme si quelqu'un avait fait tomber une boîte venant de l'une des pièces. Une grande curiosité s'empara de lui alors que son sang se glaça dans ses veines. En regardant autour de lui, il trouva un grand bâton qu'il prit. Il se dit que, si la chose qui avait fait ce bruit était dangereuse, il lui fallait pouvoir se défendre. Il marcha à pas de velours vers la porte, compta jusqu'à trois, puis rentra brusquement dans la pièce en faisant des mouvements qu'il avait appris avec Georges. Il frappa dans le vide, frappa les murs et frappa les tonneaux, mais il ne frappa personne : la pièce était vide de toute présence, exceptée la sienne. Bart remonta alors en se disant qu'il n'y avait rien à craindre.
Georges discuta avec son ami. Ils adoraient parler de leur vie, de ce qu'ils avaient fait la veille, et racontaient tous les ragots qu'ils savaient ; de vraies commères. Après avoir parlé de tout cela, Trukhin expliqua le déroulement du trajet. D'abord, d'ici une semaine, grâce aux vents qui leurs semblaient favorables, ils feraient halte à Skiphaven pour se ravitailler un peu en nourriture. Ensuite, ils repartiraient en direction des Trois-Sœurs, la plus longue partie du voyage, un mois et demi sans refaire de réserves puis ils iraient finalement gagner la grande île de Frenn, la terre lomiônne.
La semaine se déroula sans embûche et ils arrivaient presque à Skiphaven. Tout le monde monta sur le pont pour voir la ville. C'était la première fois que les deux cousins se rendaient là, ou tout simplement ailleurs que Lomiôn ou Koeldumb. Le bateau s'amarra au port et trois douaniers se dirigèrent en vitesse vers le navire.
« Marchand ou voyageur ? demanda l'un des hommes. - Nous voyageons, répondit Georges
- Qui est le capitaine et quel est son nom ?
- C'est moi, Julian Trukhin.
- Très bien, vous pouvez rester deux jours au maximum.
- Merci ! dit Georges avec un grand sourire.
- Mais avant nous devons fouiller votre bateau. Restez là s'il vous plaît.
- Nous ne bougerons pas d'ici sans votre accord messieurs, dit Julian »
Les hommes regardèrent dans tous les coins pour voir s'ils n'avaient rien d'illégal. Ils
revinrent au bout de quinze minutes et laissèrent le petit groupe tranquille. Les trois amis se dirigèrent vers la ville, tandis que les autres membres de l'équipage restèrent sur le bateau.
Après s'être un peu baladé dans la ville et avoir acheté des rations supplémentaires Bart, Georges et Julian revinrent au port avec des tonneaux remplis de boisson, des caisses de biscuits et de quoi faire un bon repas le soir. Ils demandèrent à l'équipage si tout s'était bien passé avant que tout le monde se mette au travail pour préparer le souper. Alors que les hommes du bateau étaient en train de discuter autour d'une bière et d'un jeu de domino, quelqu'un vêtu d'un long manteau noir, d'une capuche de la même couleur et portant un sac en toile de jute s'approcha discrètement du navire. L'individu semblait plutôt grand, mais il était difficile d'en être sûr car il s'avançait accroupi. Comme les marins se trouvaient sur le pont, la personne s'agrippa à la coque et fit le tour jusqu'à trouver une ouverture donnant sur la cale. Elle rentra par-là, puis alla se cacher dans l'une des pièces dans lesquelles se trouvaient les réserves. L'intrus déposa son baluchon et se coucha au sol pour dormir.
Personne ne se doutait que cette personne était à bord et tout le monde alla se coucher.
Le lendemain matin, le bateau quitta le port pour rejoindre les Trois-Sœurs. Tout l'équipage semblait joyeux et motivé du voyage. Ils essuyèrent deux ou trois tempêtes plus au moins violentes, faillirent avoir un mort à cause du scorbut et évitèrent de justesse une intoxication alimentaire générale à cause d'un tonneau de vin. Malgré cela, le voyage fut plutôt calme et l'individu qui s'était caché à bord ne fut même pas découvert, il se nourrissait de quelques biscuits et d'un peu de vin le soir en cachette, lorsque le marin qui montait la garde était distrait par autre chose.
Lorsqu'ils arrivèrent finalement à Orina, l'une des trois îles, Julian et ses deux amis firent des emplettes pour ravitailler le bateau puis allèrent ensuite dans une taverne de la ville portuaire. Ils s'amusèrent énormément : c'était la première fois depuis un bon moment qu'ils allaient boire des verres sur le plancher des vaches. Quand les trois hommes revinrent auprès du reste de l'équipage, Julian demanda aux marins combien de temps ils souhaitaient rester.
« C't'eune bonne question ? dit l'un d'eux. Qu'est-ce vous en pensez, vous autres.
« Plus vite partis, plus vite arrivés, répondit un autre dénommé Francis.
« Moi, j'dis Francis i'a raison. J'a pas envie arriver l'année prochaine, moi ! »
Plusieurs amis de cet homme crièrent la même chose et le capitaine leur proposa donc de
partir tôt le lendemain. Tout le monde acquiesça.
L'heure du départ sonna finalement après une longue nuit pour être d'aplomb pour le voyage. Georges se trouvait dans la cale lors de l'appareillage, quand, soudain, il remarqua de la poudre au sol. Au début, il se dit que c'était simplement tombé d'une caisse, puis il remarqua qu'il y en avait partout. Après réflexion, il décida d'ouvrir toutes les portes pour savoir d'où cela pouvait venir. Ce fut à sa grande surprise qu'il trouva, derrière la deuxième, une femme vêtue d'un manteau noir. C'était la personne qui était montée sur le bateau sans que personne ne s'en aperçoive. Quand elle le vit, elle lui sauta dessus avec une dague. Georges se mit à hurler de peur ce qui fit paniquer cet individu. Soudain, un marin ayant entendu les cris, arriva avec un pistolet.
« Emmenez-moi où je veux, et il n'y aura aucun mort, dit la femme.
- Ne joue pas à ça avec moi, répondit l'homme d'équipage.
- Si vous ne m'amenez pas à votre capitaine, elle sortit un briquet d'une poche, je brûle le
bateau. »
Georges comprit pourquoi il y avait de la poudre partout.
« Allez-y, dit l'ami de Julian. Je ne veux pas mourir avec un poignard dans le cœur et encore
moins brûlé vif.
- Très bien. »
Les marins écoutaient aussi bien ses ordres que ceux du capitaine, il était comme un sous-
chef.
La femme se présenta au capitaine et exposa sa demande et sa menace. Elle souhaitait se rendre à Kytosia, loin à l'ouest. Trukhin réfléchit : le bateau n'était plus très loin de Juneton, la capitale du royaume Lomiôn, il n'avait aucune envie de faire un détour parce qu'une bonne femme que personne ne connaît s'est introduite sur le navire. Il eut donc une idée, il ferait croire qu'il se rendait bien là où cette personne le souhaitait mais en réalité, il continuerait à naviguer en direction de son objectif.
« Il faut savoir que je n'ai pas vraiment envie de faire ce que vous me dites, dit Julian. Mais je ne veux surtout pas voir mon équipage et mon bateau réduits en cendres.
- Vous faites le bon choix...
- J'aime bien savoir à qui j'ai affaire, quel est votre nom ?
- Appelez-moi Joana Tori.
- Enchanté, je suis Trukhin.
- Je n'ai pas le temps pour les formules de politesse.
- Eh bien, j'arrête là, alors. Pour votre information, nous arriverons d'ici un peu plus de deux
semaines. »
En réalité, le voyage durerait qu'une semaine et demi si tout se passait bien, il ne voulait juste
pas que son invitée surprise ne découvre la vérité tout de suite. Néanmoins, quelque chose le tracassait : Joana Tori, cela lui disait quelque chose, mais impossible de mettre le doigt dessus.
Le voyage se passait bien malgré ce petit imprévu. La distance entre le navire et Juneton était de plus en plus petite et la femme ne semblait se douter de rien, comme si elle faisait entièrement confiance à Julian. En revanche, on pouvait commencer à distinguer les côtes lomiônnes, et il fallait à tout prix empêcher Joana Tori de les voir, mais il ne savait pas comment faire, quand soudain, quelque chose lui revint en tête : cette femme était une pirate.
Depuis qu'elle était enfant, elle menait une vie de pirate. Quand son père se fit tuer lors d'une bataille navale, elle décida de reprendre son nom et elle devint Joana Riot et non Tori comme elle l'avait dit à Julian. Elle avait aussi gardé deux choses de son père : un briquet et un manteau soi-disant magique. Un jour, pourtant, elle disparut en mer. Des rescapés de son équipage avaient dit que le bateau avait brûlé. Tout cela parut clair aux yeux du capitaine : Joana Riot avait fait brûler son ancien bateau à l'aide de son briquet pour récupérer le trésor et le garder uniquement pour elle. Puis elle avait utilisé le manteau pour se protéger du feu car tel était le pouvoir de cet objet.
Il fallait donc faire en sorte d'éloigner la femme de ses affaires et de voler le briquet et la veste. Il alla chercher Bart et Georges et leur exposa son plan.
« Il faut que vous m'écoutiez tout de suite ! C'est urgent !
- Quoi ? demanda Bart.
- Est-ce que vous voyez cette barque accrochée à ces cordes ? »
Le capitaine montra une embarcation à laquelle les deux hommes n'avaient encore prêté
aucune intention.
« Oui, répondit Georges.
- Quand je vous le dirais, vous monterez dedans et vous ramerez le plus vite possible jusqu'à
la ville et vous direz que notre bateau a besoin d'aide.
- Pourquoi, est-ce qu'on aurait besoin d'aide ? demanda Georges en riant croyant que c'est
une blague.
- Je vais faire brûler le bateau.
- Pardon ! s'exclama Bart.
- La femme qui est montée sur notre navire est une pirate, s'expliqua-t-il. Et je vous rappelle
qu'elle n'hésitera pas à tous nous tuer
- Une pirate ? dit Georges
- Tu ne lui as pas dit que nous n'irions pas là où elle voulait tout de suite ?
- Bien sûr que non. Bon, préparez-vous à monter dans la barque. Dès que je dirais « feu »,
vous ferez ce que je vous ai dit.
- Mais... dirent les cousins en même temps.
- Pas de question ! »
Après avoir expliqué la situation à plusieurs membres de son équipage, Julian demanda à l'un
de ses compagnons de distraire Joana Riot. Cette dernière n'hésita pas à discuter avec ce marin, ce qui arrangea fortement le capitaine et lui permit de se faufiler dans la pièce dans laquelle elle avait posé ses affaires. Il chercha un peu partout puis il trouva finalement le briquet et le manteau dans un sac. Il les prit, cria « Feu ! », enfila la veste puis mit le feu à la poudre qui n'avait pas beaucoup bougé depuis la dernière fois.
Bart et son cousin se dépêchèrent de mettre la barque dans l'eau. Ils ramèrent du mieux qu'ils pouvaient afin de rejoindre le port de Juneton au plus vite.

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