Mes Mouchoirs de Papier

Et si tu n'étais pas réel ?

-J'ai une théorie.

-Oh non, ça y est, la fin du monde est déclarée.

-Et si... Tu n'étais pas réel ?

-Ouch, ça fait mal à entendre, ça.

Je croise les bras et plante mon regard dans le sien, qui ne peut pas être réel.

Il ne peut pas.

Sérieusement. Qui, dans ce bas monde fait de mortelles mauviettes, peut avoir des yeux aussi verts ?

Personne ! Même les chats en sont jaloux, je le jure.

-Arrête. C'est pas possible de rêver à deux ! Les rêves ne se partagent pas, tu comprends ?

Il s'approche et me fait face.

Et je le sens. Je sens la chaleur corporelle qui s'échappe de son corps et l'insupportable odeur de l'abusif déodorant.

Je le sens, comme on pourrait sentir un être humain fait de chair et d'os, non de nuits et de songes oubliés.

Je sais que s'il me prenait la soudaine envier de palper son petit ventre tout mou... Je sentirais sa peau contre la mienne. Nos chairs qui s'entrechoquent et s'animent comme dans le vrai monde. Sauf que tout est censé être imagination !

Tout est censé se dérouler dans ma tête, dans un rêve. Tout n'est qu'illusion.

Je grimace. Mon imagination ne pouvait-elle pas rêver mieux qu'un ventre sans les six pack ? Sérieusement ? Ou alors est-elle tellement terre à terre, ma p'tite imagination, qu'elle a eu la flemme d'imaginer autre chose que ce qu'elle connaissait déjà ? Ralala quel manque d'idée, c'est décevant !

-Et pourquoi ça ne serait pas toi, l'ami imaginaire ? me demande-t-il dans un sourire triste.

J'en reste abasourdi et ne sais que répondre.

Si je ne suis pas réel ?
Et il croit que je ne le saurais pas ? Que je ne m'en rendrais pas compte ?

Je lâche un rire hésitant.

L'inconnu d'une nuit lève un doigt et fait semblant d'être illuminé par une brillante idée :

-Oh ! Et si tout ça était une réalité ? Je dis "une" bien sûr, car elle est différente de ce que l'homme a l'habitude de voir... Mais ça ne veut pas dire que ce qui nous entoure, ce que je suis, ce que tu es et toute cette scène, n'est pas réelle, si ?

Son visage crépite dans un air pas peu fier et s'écume alors, avant de soudain disparaître de mon champ de vision.

-Non, attends !

Je tends la main au devant de moi et tout devient flou.

Tout disparaît encore avant que je n'ai pu l'attraper.