Il pleuvait à en noyer un cachalot, Almence claquait des dents sans discontinuer depuis qu'il avait quitté le bord de mer. Un temps de chien. Les nuages pesaient de plus en plus lourd, faisant choir le ciel et écrasant la ville. Les rues désertées ruisselaient d'une eau sale, emportant dans son sillage tessons de bouteille et cigares laissés à l'abandon le long des trottoirs. Les chaussures d'Almence n'étaient plus qu'un lointain souvenir, submergées d'eau et chuintant désagréablement à chacun de ses pas. Les pieds du jeune homme flottaient dans un aquarium, il soupira. Un frisson le prit, un de plus. « Prends une veste », qu'elle avait dit, la vieille. Pour une fois, il aurait bien dû l'écouter. Quoique, une épaisseur de plus ou de moins, avec les cascades qui s'abattaient sur lui, ç'aurait pas fait la différence. Il mâchouilla l'herbe qu'il avait coincée entre ses lèvres et enfonça un peu plus ses poings dans les poches de son short. Une démarche de baroudeur pour un garçon qui ne se rebiffait que rarement, qui préférait les livres d'aventure aux embrouilles et ne s'était battu qu'une seule fois. Lui avait fini chez le toubib, l'autre au commissariat. Sale histoire. Et la pluie qui ne s'arrêtait pas...
Ça n'allait pas en s'améliorant, par là-haut, les éléments ne semblaient pas décidés à cesser le déluge. Par moments, Almence avait l'espoir que la légère luminosité venant chatouiller sa rétine fût synonyme d'éclaircie, mais peine perdue. Il allait devoir se taper les deux bornes le séparant de chez lui sous cette flotte glaciale et sournoise. Celle-ci s'insinuait partout, glaçait chaque parcelle de peau. Les chaussettes collaient aux chevilles et se maculaient progressivement de boue, à mesure qu'Almence s'éloignait des routes pavées de la ville pour rejoindre les vieux chemins sinueux menant chez lui. Il sentait son caleçon glisser légèrement, grogna un juron en pressant le pas. Pas un grand bonhomme, mais avec des enjambées de sept lieux.
Un peu plus loin, un vieux chêne gisait en travers du chemin, ses branches se tordant de douleur, désarticulées. Il lui avait fallu du temps pour expirer, voilà déjà plus d'un mois qu'il penchait dangereusement sur le côté, et frémissait sous chaque coup de vent. Pas tout jeune, le chêne. Il avait probablement dû être droit un jour, fièrement campé sur les hauteurs du talus, veillant de son calme olympien sur les villageois. Superstitions. S'il avait été un protecteur, cet arbre n'aurait pas laissé la maladie décimer tous les anciens du hameau.
Almence grimpa sur les branches, son pied glissa et brisa l'écorce, l'obligeant à se rattraper pour ne pas finir dans la flaque bordant le tronc. Maladroit, comme garçon. L'eau noire de boue ondulait au rythme des gouttes qui s'abattaient rejoindre leurs consœurs, perçant sans relâche la surface.
Almence pesta en frottant ses mains l'une contre l'autre pour les débarrasser des résidus que l'arbre avait laissés sur sa peau. Bouts d'écorce, mousse, probablement un peu de moisissure. Fientes d'oiseaux, parasites, insectes. Il cracha. Puis, relevant la tête, vit arriver un garçon. Le regard absent, des cheveux blond sale aplatis sur un front piqué de traces d'acné, un pantalon à braies dans lequel était coincée une chemise. Chemise avec une manche vacante, collée au buste par l'eau froide. Un drôle de pantalon. Almence se sentait toujours relativement mal à l'aise avec ce gosse. Quelque part autour de l'âge de sa sœur, la bouche scellée, son unique main derrière le dos, comme pour s'excuser sans cesse. De quoi ? Une bonne poire, sans doute. Ça l'énervait. Les bons gamins ne connaissaient rien à la vie. Ils se croisèrent sans un mot.
Il laissa son pied frapper une pierre qui, lentement, se décrocha de l'enlisement boueux dans lequel elle seyait, roula, se promena, ivre, jusqu'au caniveau dans lequel elle disparut. La plante de ses panards s'essayait à brûler, lui envoyant des piqûres par vagues. Il avait oublié que ses semelles étaient foutues. Une paire de plus. Un éternuement le prit, le surprenant par son intensité. Il essuya sonnez dans sa manche, faute de mieux, puis soupira. La vieille allait l'engueuler de rentrer trempé, sale et frigorifié. Elle l'avait prévenu, mais il fallait voir la mer. La mer... Il en rêvait, toutes les nuits. Et d'un bateau, qui l'emmènerait loin d'ici, loin de tout problème, loin des baraques à moitié effondrées qui sentaient le poisson et la poussière, quand ce n'était pas la moisissure. Ce serait bien, de partir. Tout quitter. Emmener une fille, peut-être la Norianne du coin du galet. Main dans la main, vers l'horizon. Foutaises, là encore.
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Histoires Courtes
Historia CortaDans ce recueil, vous trouverez des one-shot écrits sur un coup de tête, la plupart du temps. Ils ne sont pas très longs, ne se suivent pas. Je ne mettrai probablement pas à jour de façon régulière. Le premier texte est celui écrit dans le cadre du...