Vert de rage

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Le réveil sonne. Première humiliation de la journée.

Beeeep. Beeeep. Le bruit strident de cet objet vulgaire et sadique me déchire les tympans. J'enfouis ma tête sous l'oreiller, implorant les dieux du sommeil de me laisser encore quelques minutes de répit. Pourquoi donc les fabricants s'étaient-ils ainsi donné le mot en choisissant pour sonnerie standard ce son hideux et agressif, cette ode au meurtre matinal répétitive et angoissante ?

J'appuie sur le bouton Stop afin de faire cesser le carnage auditif. Je n'ai pas le temps de traînailler, car en bon ado paresseux, j'ai déjà repoussé les limites de l'heure du réveil à leurs extrémités. D'ailleurs, je dors tout habillé, histoire de grappiller quelques secondes. Le sommeil, c'est sacré, qu'on se le dise.

Je me lève, je m'étire, je grogne un peu. La lumière du jour filtre à travers mes rideaux usés. Encore une belle journée ensoleillée. Du moins, pour ceux qui auront la chance d'en profiter : en ce qui me concerne, j'ai huit heures de cours et, à cette époque de l'année, il fait nuit noire à dix-huit heures.

Foutue vie.

Les muscles encore engourdis, les yeux embués, l'air d'un zombie fraîchement ressuscité, je m'approche lentement du miroir de ma chambre afin de procéder au démêlage quotidien de la touffe rousse qui me tient de coiffure. Très pénible à entretenir, ces choses là, les gens ne se rendent pas compte. Mais soudain, c'est le drame.

J'écarquille les yeux de stupéfaction. Incrédule, il me faut bien quelques dizaines de secondes avant d'assimiler complètement la situation. Je souffle, ce doit être un coup de mon imagination réputée si fertile. En fait, peut-être pas. J'ouvre le robinet et plonge la tête sous l'eau. Ça ne part pas. Je m'enduis les mains de savon et continue de me frotter la peau pendant deux longues minutes. Je m'asperge de white-spirit. Rien à faire, autant pisser dans un violon. Résigné, je coupe l'arrivée d'eau et descends les escaliers en glissant sur la rampe.

En bas, ma génitrice s'affaire aux fourneaux. Elle tente une reconversion professionnelle dans le domaine de la cuisine et attend des invités importants pour ce midi. Entre les effluves des bons petits plats mijotés, une odeur de stress envahit la pièce. Les tics nerveux qui agitent son visage trahissent son état de fébrilité.

- Maman, j'ai un problème... je suis devenu vert !, m'exclame-je, à moitié couvert par le vacarme du robot mixeur.

- Oui, oui, c'est bien, ce sont des choses qui arrivent, mon chéri. Dépêche-toi, tu vas encore être en retard au lycée, me répond-elle d'un air absent.

Pas grand chose à espérer de ce côté là. Tant pis. Bousculant ma soeur, cette sale petite peste qui est en train de me dévisager d'un air moqueur, je prends mon manteau, mon sac et mon courage à deux mains, et vais tenter de mettre à profit le plus grand et le plus secret de mes innombrables talents : l'improvisation.

Les gens dans la rue me regardent bizarrement. Forcément, un type roux totalement grimé en vert se baladant ainsi de grand matin, ce n'est pas chose courante. D'autant plus que je viens de me rendre compte, ô ironie du sort, que le t-shirt soigneusement choisi hier soir avant de me coucher est exactement de la même couleur que la peau de mon joli minois. A ceux qui me dévisagent, je réponds par un sourire ; à ceux qui me montrent du doigt, je fais un petit signe de la main. Je fais tout mon possible pour paraître naturel. Du moins, je l'espère.

Je sors mon antique montre à aiguilles de la poche de mon jean troué. Il est huit heures dix, et je suis censé commencer à huit heures. Tant pis, je vais sécher le cours de maths. Direction chez le toubib.

Le médecin me toise fixement, l'air grave. Fronçant ses épais sourcils broussailleux, il semble perplexe. J'ai peur.

- Et donc, vous ne souffrez d'aucun vomissement, d'aucune fatigue, d'aucune douleur abdominale ?

Nouvelles écrites au TractopelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant