Papier musique

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Il fait noir. J’ai froid.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis reclus dans cette cave, cette grotte, ou quelconque lieu sombre et glacé du même acabit.

En tout cas, ça pue. Ça sent le renfermé, l’urine de rat, le moisi, et un je ne sais quoi familier mais sur lequel je serais bien incapable de poser un nom.

Alors, j'attends. Je crie. Je tape de mes petits poings furieux sur les parois de bois qui me servent de cage opaque et indestructible. Je pleure. J’abandonne, je m'effondre, puis je reprends espoir et je recommence. En vain. Mais, à bien y réfléchir, je n’ai que ça à faire. Alors, je continue.

Progressivement, mon amnésie s’estompe, et je parviens à me remémorer des bribes de souvenirs.

Je suis… Je suis quelqu’un de tout à fait banal, sans histoires, sans encombres. Né d’un couple d’artistes de jazz, à la Nouvelle-Orléans, j’ai tracé mon petit bonhomme de chemin sans jamais causer d’ennuis à personne.

J’ai beaucoup voyagé avec mes parents. D’abord, sur le territoire des États-Unis, puis dans le monde entier. Un véritable globe-trotter. De tournée en tournée, de ville en ville, c’est finalement la grande communauté des musiciens qui s’est substituée à ma famille.

Elle m’a adopté, aidé à grandir, maturer, évoluer. A me bonifier toujours plus et à devenir quelqu’un de complet et respectable. Je l’aime, et elle me le rend bien.

Une mélodie envahit la pièce, m’arrachant brusquement à mes pensées.

Je me retourne, plissant les yeux, bien incapable d’apercevoir quoi que ce soit dans cette pénombre. J’essaye de suivre à l’oreille l’étrange air de musique provenant de nulle part, mais je ne trouve rien.

Je trébuche alors sur quelque chose de mou. Le son s’arrête net, aussi promptement qu’il était apparu.

“Hey, dis-donc, tu pourrais faire un peu attention !”

Maintenant, je le distingue. Ou la distingue, je ne sais pas trop, le timbre étant trop enroué pour que l’on puisse réellement faire la différence. Il s’agit d’une personne d’âge mur, vraisemblablement.

Passé un bref moment d’hésitation, je m’enquiers auprès d’elle de notre situation commune.

“Comment ça késkissepasse ? Rien du tout. Je squatte, je tue le temps. Tu permets ? Et toi, tu fous quoi ici ?”

Je lui réponds avec toute la prestance qu’il m’est possible de rassembler - soit, pas grand chose de concluant - que je n’en sais fichtrement rien, et que c’est bien là tout le sens de mon interrogation précédente.

“Ah oui, je vois. C’est pareil à chaque fois. Faut pas baliser. A chacun son temps de silence, t’sais.”

Ok. Encore un taré des montagnes rocheuses. Bien bien. Nous voilà plus avancés.

Je tente une autre approche, plus adaptée aux hurluberlus de ce genre, histoire de grappiller subtilement quelques précieuses informations.

D’abord, capter son intérêt en pénétrant dans son univers.

“Ah oui, merci bonhomme. Et sinon, t’fais quoi d’beau dans la vie ?”

Nouvelles écrites au TractopelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant