Come & Get me [Collection &H]

Chapitre 1

Tobias

Je vais la tuer, ce n'est pas possible autrement. Je vais la tuer ! Ce sont les premiers mots qui me viennent en tête lorsque j'ouvre le courrier de Jessica, la mère de ma fille. Elle a décidé de me faire chier comme ce n'est pas permis, pourtant elle n'a pas bronché quand je lui ai dit que je voulais divorcer. Sauf qu'entre-temps elle a lu l'enveloppe du labo qui contenait les résultats du test ADN que j'ai fait à la suite du décès de ma mère, et a compris l'héritage qu'il impliquait.

Depuis que j'ai appris qu'elle a tenté de fricoter avec le mec de ma sœur, je ne peux plus voir ma femme en peinture. J'aurais pu passer au-dessus de ça si elle n'avait pas récidivé sous notre propre toit, et en présence de ma sœur, que je venais de retrouver après dix-huit ans de séparation. Comme si ça ne suffisait pas, cette garce m'envoie une liste de réclamations longue comme le bras et complètement farfelue, mais ce qui m'a sauté aux yeux, c'est la demande numéro quatorze, « la garde exclusive de Sydney ».

Hébété par ses requêtes, je me laisse choir sur le canapé, qu'elle souhaite également récupérer en numéro douze. Comment Jessica peut‑elle exiger ça ? Elle sait que ma fille est ce que j'ai de plus cher, je pourrais lui donner toutes les parts de mon restaurant si ça me permettait de garder Sydney auprès de moi. D'autant plus que notre fille n'est que numéro quatorze pour elle, même ce foutu canapé l'intéresse davantage. Peut‑être que cet élément jouerait en ma faveur devant le juge. Il est déjà 10 heures, je téléphone à mon avocat pour le mettre au parfum et file au boulot.

Le restaurant dont je suis l'heureux propriétaire se situe à quinze minutes de chez moi, en plein cœur de Chicago. Je l'ai ouvert il y a deux ans, car je voulais proposer ma propre cuisine et non continuer à préparer celle des autres. C'est l'œuvre d'un travail acharné et de nuits blanches à répétition. Il ne désemplit pas depuis son lancement, et les critiques ont toujours été positives. Voilà encore une chose que veut me prendre ma future ex-femme, c'est sa première revendication, cinquante pour cent de l'entreprise. Autant dire un moyen de me faire chier tout au long de ma vie. Je ne reconnais pas celle dont je suis tombé fou amoureux et à qui j'ai demandé de m'épouser, pour le meilleur et pour le pire. Aujourd'hui on est face au pire et à la fin de ce mariage, qui pourtant a été heureux jusqu'au retour de Cathlyn, accompagnée de Tyler Ross. J'en ai voulu à son petit ami les premiers temps, j'ai eu l'impression que toute mon existence s'effondrait. Maintenant ma colère est passée, ou plutôt elle s'est redirigée vers la véritable fautive.

Je dépasse le restaurant sans m'y arrêter. J'ai besoin de marcher encore quelques minutes pour me calmer et ne pas massacrer ma brigade en plein service. Mes gars sont vraiment au top, ils bossent comme des acharnés et avec une rigueur exemplaire. Je ne veux pas leur montrer mes mauvais côtés, pour eux je dois rester le chef de cuisine qui maîtrise autant son travail que ses émotions.

Annabelle

Quand il pénètre dans le restaurant, je remarque tout de suite que quelque chose ne va pas. Tobias a le visage fermé et ses traits habituellement si doux sont d'une dureté qui me fend le cœur. Ses yeux noisette sont rivés vers le sol. Sa démarche est plus raide, c'est les poings serrés qu'il passe devant moi sans me voir.

— Bonjour, chef, lancé-je pour tenter de le dérider.

Il me regarde et glisse la main dans ses cheveux blonds déjà en pagaille avant de souffler :

— Salut.

Sa réponse manque d'entrain, toutefois il m'adresse un sourire aussi timide que faux, puis se dirige vers les vestiaires. Ça fait deux ans que je connais Tobias, j'étais avec lui lorsqu'il a ouvert le restaurant. Il est très vite passé du statut de patron à celui d'ami grâce à son naturel souriant et bienveillant. À ses côtés j'ai appris à aimer mon métier, bien plus que tous ceux que j'ai pu exercer auparavant. Depuis le premier jour, je joue le rôle de réceptionniste et cheffe de salle, prenant plaisir à échanger avec les clients.

Je m'engouffre dans le couloir du personnel et m'appuie contre le mur face au vestiaire des hommes, attendant que mon patron daigne en sortir. Il ne lui faut pas plus de cinq minutes pour réapparaître.

— Balance ce qui ne va pas, Tobias.

Je suis bien la seule de l'équipe à pouvoir parler au grand patron ainsi, je suis également la seule à être aussi proche de lui. Tobias Turner est mon meilleur ami. Je ne suis pas une fille qui s'ouvre facilement et je peux compter mes véritables amis sur les doigts d'une seule main. Tobias en fait partie.

— Je vais très bien, ose-t‑il répondre comme si j'étais aussi dupe que les autres.

— C'est mal me connaître si tu crois que je vais lâcher l'affaire. Tu arrives en retard, toi, Tobias Turner, le mec le plus ponctuel du monde, et avec une tête de six pieds de long.

Il souffle et capitule dans la foulée face à mon entêtement.

— Ma femme me fait chier.

— Pour changer.

— Annabelle, me réprimande-t‑il.

— Quoi ? éructé-je en haussant les épaules. C'est le cas tous les jours depuis que vous êtes séparés.

— C'est compliqué, dit‑il comme si ça expliquait tout.

— Comme tous les divorces. Tobias, écoute, je sais que c'est la merde pour toi en ce moment, que ta femme est une salope et qu'elle n'a pas fini de te pourrir la vie. Ma grand-mère était le même genre de femme, sauf que je t'interdis de devenir le même genre de type que mon grand-père. Alors tu vas te secouer, retrouver la force de sourire et te donner à fond pour ton équipe, qui est déjà au travail.

À la fin de ma tirade, Tobias esquisse un sourire, un vrai cette fois. C'est ma plus belle récompense, j'ai réussi ma mission ; mon cœur se réchauffe instantanément.

— Tu sais, Anna, tu es une chouette fille.

Je ne le sais que trop bien, mais pas suffisamment chouette pour être autre chose qu'une amie et collègue. Je suis une fille bien, qui se traîne un paquet de boulets aux chevilles et qui ne pourra jamais charmer son patron, car lui aussi a ses propres fardeaux. Les miens ne doivent jamais reposer sur d'autres épaules que les miennes.