Chapitre 4

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Annabelle

La salle n'a pas désempli de la soirée, chaque fois qu'une table s'est libérée, de nouveaux clients y ont été installés après que celle-ci a été dressée de nouveau. J'ai les jambes en compote lorsque je tourne sur la porte le panneau informant que nous tirons notre révérence pour aujourd'hui. Je me laisse choir sur une banquette aux côtés de Kyle, l'un des commis. J'attrape la bouteille de bière posée devant lui et en bois une grande rasade.

— Vas-y, je t'en prie, je crois que tu as soif, plaisante mon compagnon.

— Peut‑être un peu, avoué-je en lui rendant sa boisson.

— C'était le feu ce soir, un rush digne des soirs de Saint-Valentin.

— M'en parle pas, c'est dans un mois.

Le 14 février est une soirée où toute l'équipe est réquisitionnée. Nous installons une dizaine de tables supplémentaires, une carte spéciale est proposée et l'heure de la fermeture repoussée. Heureusement, cette fête n'a lieu qu'une fois par an, car il nous faut trois jours pour nous en remettre. Mais on s'y fait de nombreux pourboires, alors je ne me plains pas trop.

Tobias finit par nous rejoindre, accompagné d'Alex, son second. Il pose sa toque sur la table et passe la main dans ses cheveux blonds collés par la transpiration. Ses yeux sombres et fatigués sont braqués sur moi, et il m'offre un sourire si léger que je pourrais douter de son existence. Je rougis et j'ai envie de me donner des claques pour ça. Mon cœur s'accélère à la vue de mon patron, et il s'emballe carrément au moindre signe d'attention, maudits soient mes sentiments.

— Vous avez été super, tous, nous félicite-t‑il. Merci pour ce soir, vous méritez quelque chose de bien plus fort qu'une bière.

À peine assis, Tobias se relève et va dans la réserve. On entend des bruits de bouteilles en verre qui claquent les unes contre les autres, avant de voir notre patron sortir avec un whisky de quinze ans d'âge.

— Je pense que c'est l'occasion d'ouvrir ce grand cru, les amis.

Il dépose l'or brun sur la table et récupère des verres. Tobias convie le reste de l'équipe à se joindre à nous, ceux restés en retrait par timidité ne seront pas épargnés par la gentillesse de leur patron. C'est ce qu'il est, gentil. Cet homme n'a pas une once de noirceur en lui, malgré ce qu'il a vécu. Les journaux le présentent comme un martyr, lui n'en a que faire et se montre doux et bienveillant avec ses employés.

J'enraye immédiatement mon esprit prêt à partir dans un éloge à rallonge. Je ne veux pas penser à tout ce que j'aime chez Tobias, ça serait me faire du mal inutilement. Je dois rester à jamais son amie, pour notre bien à tous les deux.


Tobias

— Je lève mon verre à vous, mon équipe, mes amis.

Ces mots franchissent mes lèvres pour tous mais mes yeux n'en regardent qu'une.

— Vous êtes mes piliers, ceux sans qui rien ne serait possible. Il y a maintenant deux ans, j'ouvrais ce restaurant avec pour seuls compagnons Alex et Anna. Depuis, la famille a grandi, et je suis heureux de partager cette aventure avec vous tous. Je ne le dis pas assez, peut‑être parce qu'en réalité, je suis un mec réservé, mais merci. Santé !

J'avale un peu de whisky qui me brûle la gorge avant d'apaiser mes neurones prêts à disjoncter. Je ne sais pas comment je tiens encore debout, toute la journée je n'ai eu de cesse de ressasser mes problèmes. Anna ne m'a jamais laissé seul. Quand nous avons fermé durant l'après-midi, elle est restée avec moi, nous n'avons pas parlé outre mesure, néanmoins elle était là. Mes yeux se perdent sur elle tandis que la petite bande discute joyeusement. Annabelle n'entre pas dans les stéréotypes de la femme parfaite, pourtant ses hanches fines, sa poitrine galbée, son regard aiguisé et son mètre soixante-cinq la rendent divine. Je suis complètement déstabilisé par cette nana depuis quelque temps, elle ne cesse de me surprendre. Elle a un certain pouvoir sur moi, celui de me comprendre et de me pousser toujours plus loin. Le rôle de la meilleure amie lui va comme un gant, j'aurais clairement merdé sans elle aujourd'hui. Depuis que nous nous connaissons, elle fait en sorte que je ne déraille pas, cette femme est un roc, et j'espère un jour pouvoir lui rendre la pareille.

— Arrête de la mater comme ça, mec, t'es encore marié, me chuchote Alex pour que je sois le seul à entendre.

— Je la regarde comment ?

— Comme si tu étais prêt à te jeter sur elle. En plus, laisse tomber, je l'ai vue recaler tous ceux qui ont essayé.

Je ne proteste pas, bien qu'intérieurement je m'insurge. Je ne pense pas du tout à avoir ce genre de relation avec Annabelle, mais l'avouer tout haut ne ferait qu'alimenter la conversation. Je ne dis pas que l'idée de coucher avec elle m'est insupportable, loin de là, c'est une femme magnifique qui peut avoir n'importe quel homme à ses pieds. Avec sa chevelure rousse, son sourire rayonnant, elle les fait tous tomber, et je suis aux premières loges pour voir nos clients se pavaner devant elle comme des mâles en rut. Ce spectacle est aussi affligeant qu'il fait monter une certaine colère en moi. Toutefois, elle n'a pas besoin de preux chevaliers pour la défendre.

— Ça vous dit qu'on termine la soirée dans un club ? lance Kyle.

L'ensemble du groupe répond par l'affirmative ; je suis le premier à décliner l'offre. Mon commis fait ses yeux de chien battu pour me persuader de venir, en vain.

— Je suis claqué, je n'ai plus ta jeunesse.

— Tu as quoi ? Trente ans ?

— Un peu plus, mais peu importe, allez vous amuser, je finalise la fermeture et je vais me pieuter.

Il n'insiste pas mais ne manque pas de me faire promettre de les accompagner la prochaine fois. Tous rejoignent le vestiaire pendant que je nettoie les verres que nous avons utilisés. Je brique encore la cuisine comme l'exige mon côté maniaque et salue de loin mes collègues qui partent profiter des quelques heures restantes avant le lever du jour.

Le silence m'apaise, et je savoure cet instant de calme. Je n'ai pas envie de rentrer chez moi de peur de trouver Jess dans mon lit. Elle a décrété qu'elle ne quitterait plus la maison, alors je doute qu'elle me facilite les choses ce soir. Je pourrais très bien dormir sur l'une des banquettes du restaurant, sauf que j'ai besoin d'une nuit complète. J'envisage de prendre une chambre d'hôtel en me rendant au vestiaire, toutefois ma réflexion est interrompue par un corps frêle qui vient s'écraser contre le mien. Par réflexe, mes mains se posent sur les hanches d'Annabelle. Elle a troqué sa jupe crayon pour un jean délavé et troué offrant à ma vue une bande de chair blanche, ainsi qu'un top noir qui laisse peu de place à l'imagination à propos de sa poitrine.

Je n'ai jamais eu aussi chaud en sa présence, et mes yeux se posent là où ils ne se sont jamais posés.


Annabelle

Ses bras autour de moi me rendent toute molle. Comment se fait‑il qu'en deux ans d'amitié Tobias ne m'ait jamais tenue ainsi ? Cette sensation est nouvelle et je suis aussi émoustillée qu'une adolescente recevant son premier baiser. Je me fustige intérieurement pour mes pensées. Lui songe seulement à m'empêcher de tomber tandis que moi, je l'imagine déjà sans le moindre vêtement, avide qu'il m'ôte les miens. Jamais je n'ai été en manque de sexe, je n'ai pas le temps pour ça, pourtant à cet instant je ressens un vide.

— Annabelle...

Sa voix... Je suis obligée de mordre ma lèvre pour ne pas l'embrasser sur-le-champ. J'en meurs d'envie, et sa bouche m'appelle.

Qu'est‑ce qui t'arrive, Anna ?

Une prise de conscience me sauve, alors que je suis à deux doigts de commettre l'irréparable. Je me détache de lui sans lever les yeux et me dirige vers la sortie en me confondant en excuses.

Come & Get me [Collection &H]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant