Par une soirée d'hiver ~ Partie II

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Nous étions là, assis côte à côte sur son lit, sans nous regarder. Et nous parlions.

Nous parlions de toutes ces choses que nous ne nous sommes jamais dit. De toutes ces choses que nous n'avions pas partagées, de notre vie l'un sans l'autre. De ce qui avait comblé ces dernières années, de notre lutte respective pour émerger de cette douleur qui n'avait jamais cessé de nous lanciner le cœur. Qui nous avait séparés.

Mes larmes s'étaient taries sur mes joues, et je me contentais d'écouter sa voix grave et traînante relater ce qui avait été sa vie durant ces quelques années. Je ne le coupai pas; je savais que Kakashi n'était pas à l'aise avec les grands discours, surtout lorsque cela concernait sa propre personne. Les émotions étaient une chose sur laquelle il n'était jamais parvenu à poser un mot, car elles étaient trop brûlantes, trop cuisantes. Et je partageais cette difficulté.

Nous parlions tour à tour, écoutant l'autre dans un silence et un respect quasi-religieux, désireux de ne pas manquer une miette de ce pan de notre vie que nous n'avions pas partagé. Les mots sortaient avec une facilité que je n'aurais jamais soupçonnée, fluides, d'une aisance sereine qui me ramenait à l'époque où nous étions proches et soudés.

Il était étrange de voir comme certaines choses restaient immuables chez lui malgré les nombreuses saisons qui étaient passées; la distance qu'il imposait avec autrui, son côté secret, ses convictions inébranlables même si elles avaient changé de nature avec le temps. Du gamin désireux de faire toujours passer la mission en premier après la disgrâce qui s'était abattu sur son père et qui lui avait ôté la vie, il était devenu un homme soucieux de ses coéquipiers et avait décidé de placer la valeur de leurs vies au premier rang. Comme cela me réjouissait et me perturbait à la fois.

J'avais vu Kakashi grandir de loin, à travers mes rares petites escales à Konoha que je ne foulais de mes pieds uniquement quelques jours par an. Je ne l'avais plus jamais approché, me contentant des ouïe-dires sur ce fameux ninja copieur, Kakashi au sharingan, le ninja aux mille techniques, et parfois le fratricide. Je l'apercevais parfois au coin d'une rue, notai à chaque fois la façon dont les centimètres semblaient vouloir lui donner une tête de plus que moi, que les traits juvéniles qui n'étaient pas dissimulés sous son masque s'étaient aiguisés et avaient mués en ceux d'un homme.

Je m'étais toujours paralysée à l'idée de le croiser, dans une rue ou dans le bureau du Hokage, d'avoir à lui parler, à enfoncer mon regard dans cet œil noir si familier et inconnu à la fois. Et pourtant, j'avais toujours tenu à savoir ce qu'il était devenu. Cette distance qu'il avait imposé ne cessait de me tirailler entre ma volonté de le rayer de mon existence et celle de le voir faire partie de ma vie. J'étais comme un satellite; je gravitais toujours autour de lui, me rapprochant et m'éloignant en fonction des saisons, bloquée par les lois de la pesanteur qui me laissaient indécise, sans jamais pouvoir m'engager définitivement sur l'un ou l'autre de ces deux chemins. Je m'en était donc tenue à un comportement des plus formels pour les rares fois où j'avais à entrer en contact avec lui, me battant contre cette dualité qui me fendillait le cœur et me laissait toujours plus amère à mesure que les années passaient.

C'est pourquoi il me semblait presque irréel de l'avoir ici, juste à côté de moi, à me parler comme pour colmater le vide que cette situation avait perpétuée. J'étais étourdie par sa voix qui me berçait, droguée par sa présence qui comblait doucement ce manque insoutenable de mon existence. J'avais l'impression que son épaule qui frôlait la mienne était la dernière chose qui me rattachait à la réalité, qui me prouvait que je n'étais pas en train de rêver.

Il me parlait de ses années sombres au sein de l'ANBU, de la façon dont cela l'avait plongé davantage dans les ténèbres plutôt que de l'en faire sortir. Il me raconta comment ses amis Gaï, Kurenai et Asuma l'avaient épaulé et l'avaient aidé à maintenir la tête hors de l'eau, et m'avoua même que ces défis stupides que son fameux éternel rival n'avait de cesse d'engager lui faisaient plus de bien qu'il ne lui dirait jamais. Grâce à la bienveillance de ces trois jônin, le troisième Hokage l'avait relevé de ses fonctions dans les services secrets du village pour lui assigner sa nouvelle tâche de sensei. Il m'expliqua à quel point il eut du mal à se débattre avec ses regrets à ce moment là, comment il avait renvoyé des dizaines d'élèves de peur de reproduire la même tragédie avec ces enfants.

𝕃𝕖𝕤 É𝕔𝕙𝕠𝕦é𝕤 | Kakashi x Reader - RecueilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant