Matricule 258

Chapitre 4

                                    /!\ âmes sensibles s'abstenir /!\

Skye entendit les doigts monstrueux de l'homme traverser la structure en fer d'une rangée de sièges. C'était maintenant ou jamais, il fallait qu'elles sortent de là. « Lyn bouge ! Aelyn... ? » Skye s'aperçut avec horreur que son amie venait de sombrer dans l'inconscience. Dans un élan désespéré, elle prit ses deux bras en crochets et la tira vers elle de toutes ses forces. La jeune femme devinait que le monstre était coincé, sûrement dans l'incapacité de détacher ses aiguilles de la ferraille et fulminant à voix haute en sachant que ses proies tentaient de s'échapper. Elle balayait la pièce de regards affolés, essayant de repérer l'ennemi, tout en traînant Aelyn par les poignets. Dans sa course en marche arrière, elle cogna brusquement son dos contre une surface plane et froide : la porte ! Elle traversa les deux rangées de battants, arrivant enfin dans le hall du premier sous-sol. S'appuyant contre le mur, Skye réfléchit, vite. Les hypothèses se bousculaient, les scénarios s'enchaînaient : elle pouvait essayer de réveiller Aelyn tout en bloquant la porte... Non elle ne se réveillerai sans doute qu'après avoir reçu des soins, Skye était seule sur ce coup. Elle pouvait tout aussi bien se cloîtrer dans une salle de projection... Non elles étaient toutes vitrées et donc la rendraient vulnérable. Elle pouvait cacher son amie et partir chercher de l'aide... Non mais ça va pas ?! Elle n'allait tout de même pas la laisser seule, mourante, en tête à tête avec un pareil psychopathe ! Soudain la vérité lui tordit les entrailles : même si elle arrivait à atteindre les escalators, elle ne parviendrait jamais au rez-de-chaussé.

Elle se souvint d'un cours de littérature, une citation qui l'avait marqué, elle la murmura pour elle même : « Le Pas-Possible, froid et tranchant comme un glaive, fourche les cœurs humains assoiffés du Toujours... Émile Goudeau, Adjectivisme adverbial... Skye non mais vraiment ?! Même dans les pires situations tu arrives à ressortir ton cours. » Elle rigola pour elle même : Aelyn avait vraiment une mauvaise influence avec son caractère de première de la classe ! Son rire devint nerveux. Elle entendait son futur bourreau se débattre avec les sièges ; il serait bientôt là. Avec le peu de courage qu'elle réussit à rassembler, Skye prit Aelyn par les avant-bras et la traîna (encore) sur la moquette. Elle évita la chute par deux fois, étant déséquilibrée par le poids de son amie, à peu près égal au sien. Lorsqu'elle atteignit enfin les première marches immobiles de l'escalator, des bruits de pas effrénés la stoppèrent. Elle pensa d'abord à l'homme aux doigts tranchants, puis elle se retourna pour faire face à ce qui semblait être deux jeune collégiennes :

« - Excusez-nous ! Appela la première qui devait faire une tête de moins qu'elle.

- Chut ! Taisez-vous il pourrait nous entendre, chuchota Skye sur le ton du reproche.

- Qui ''il'' ? Il y a d'autres gens ici ?

- Pas des gens non..., répondit la lycéenne en déglutissant.»

Les deux gamines... Elles devaient avoir 12 ans environ, pensa-t-elle. Une idée lui effleura l'esprit, elle déglutie, elle ne pouvait pas faire ça, elle ne pouvait pas être si cruelle. Non, elle n'était pas quelqu'un de mauvais... N'est-ce pas ? Elle regarda les deux faces naïves. Et avant qu'elle ait pu dire quoi que ce soit, la premier reprit la parole :

« - Bon, apparemment elle nous aidera pas, viens Morgane on va fouiller les salles, on va bien finir par retrouver Pauline.

- Hum d'accord si tu le dis... Au revoir, merci quand même. J'espère que vous allez réveiller votre amie, elle a pas l'air bien. »

Skye resta immobile, comme pétrifiée. Elle les voyait s'approcher de LA salle, elle les voyait glisser dangereusement vers la mort, la mort lente, la mort douloureuse. Elle devait les aider, elle devait les prévenir, elle devait bouger. MERDE BOUGE ! Elle n'y arrivait pas. Sa conscience, sa morale essayaient désespérément de contracter ses muscles. Skye comprit que si elle n'arrêtait pas les deux gamines, elle ne serait plus jamais la même ; et pourtant quelque chose en elle savait : « Si tu ne fais rien tu pourras t'enfuir, si tu les laisse se jeter dans la gueule du loup tu pourras sauver ta peau et celle d'Aelyn. ». Elle descendit son regard vers sa meilleure amie. Elle avait beau être enfermée dans un sommeil involontaire, Skye pouvait encore distinguer les trais de la douleur et de la peur ancrés sur son visage : ses lèvres fendillées, mordues certainement, ses sourcils froncés, son teint jauni.