Chapitre 4 : Peut-être que...

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[...] Shota se retint de proposer d'inverser les rôles à Yamada. Il ne se sentait pas à l'aise à l'idée de se retrouver à nouveau seul avec Kanjiko mais il ne voulait pas non plus avoir à fournir des explications à son ami. Ils sortirent du restaurant et ses collègues s'éloignèrent rapidement.

« Tu habites par où ? demanda Shota, gêné.

- Dans les quartiers Nord, répondit Kanjiko pas plus à l'aise.

- Il n'y a plus de train à cette heure ; il va falloir marcher. Ça va aller ?

- Oui. Désolée... Je n'aurais pas dû accompagner Kayama...

- T'en fais pas pour ça. Ça fait douze ans que vous ne vous êtes pas vu. T'as bien le droit de profiter. »

     Ils marchèrent en silence dans les rues. Il n'y avait personne par là où ils passaient. Tous deux se sentaient mal à l'aise. À un moment, Kanjiko commença à avoir du mal à avancer. Shota la força à s'asseoir sur un banc dans un parc qu'ils traversaient.

« Je suis vraiment désolée... Je n'ai pas l'habitude de boire autant. »

     Ils continuèrent de garder le silence, chacun regardant le sol. Mais finalement Shota posa la question qui le taraudait depuis quelques heures.

« Tout à l'heure, tu as parlé de mariage de raison... Qu'est-ce qui te décide à l'épouser ? » Elle mit un temps à répondre. Son visage se teinta de pourpre.

« En réalité, je ne sais pas trop... Je ne me souviens même plus de quand et comment ça s'est passé.

- Tu as envie de l'épouser ?

- Il faut bien croire que oui... Enfin je crois... Je ne suis pas sûre...

- Alors quitte le.

- Je ne peux pas. On a déjà mit au point la cérémonie, le contrat, les invités... C'est trop tard pour faire marche arrière. Ce ne serait pas correct. Oublie tout ça, soupira-t-elle finalement mais plus comme pour elle-même. C'est sûrement le stress et l'alcool qui parlent.

- Tu sais que rien ne te force ? insista-t-il.

- Je crois, oui.

- C'est pour quand ?

- Trois semaines. » À nouveau il fut submergé par une vague de douleur dans la poitrine. C'était si proche. Et il ne pouvait rien y faire. Il ne faisait plus parti de sa vie maintenant, et il était plus que probable que ce soit toujours le cas après le mariage. Il sentit de nouveaux regrets naître en lui. Il s'en voulait d'avoir été si stupide, que ce soit maintenant ou dans le passé.

     Il posa son regard sur le visage de la jeune femme alors qu'elle fixait ses pieds. Il n'y avait pas un mètre qui les séparait et pourtant, elle était si loin de lui maintenant. Mais il ne pouvait faire taire ses sentiments. Et il ne pouvait passer à côté du fait qu'elle ne se mariait pas sous de bons prétextes. Savoir qu'elle aimait son fiancé lui aurait davantage permit d'accepter la chose, même si il en aurait tout autant souffert. Mais qu'elle ne connaisse même pas les raisons de son engagement le révoltait.

     Contrairement à douze ans auparavant, il se décida enfin à agir. Il passa son bras autour de ses épaules et de son autre main tourna son visage vers lui. Il profita de la surprise que provoqua ce geste pour venir déposer ses lèvres sur les siennes. Il sentit qu'elle resta interdite le temps de quelques secondes, puis que comme plus tôt dans la journée, elle chercha doucement à s'écarter de lui. Mais cette fois, il ne la laissa pas faire, rassurant son étreinte et le contact de ses lèvres. Elle ne chercha pas plus longtemps à le repousser et il sentit la barrière des émotions de la jeune femme céder. Ses sentiments vinrent se mêler aux siens : une légère culpabilité première accompagnée de gêne rapidement remplacée par de la chaleur, du bien être, l'oubli un instant de tout ce qui pouvait exister d'autre. Quand il recula son visage, il ne la lâcha pas pour autant et observa les différentes nuances qui teintaient ses cheveux avec un léger sourire. Il la rapprocha de lui, la serrant dans ses deux bras et il sentit qu'elle se lâcha complètement. En quelques secondes, elle se retrouva à pleurer à chaudes larmes contre son torse. Quand elle se calma, la gardant contre lui, il lui répéta :

« Quitte le. »

     Ils restèrent un instant encore dans cette position avant qu'elle ne se relève et lui demande de se remettre en route. Dépité, il lui emboîta le pas et la raccompagna jusqu'à son quartier. Mais devant son immeuble, il ne voulait toujours la laisser partir sans obtenir gain de cause.

« Tu peux venir chez moi. Je dors au dortoir du lycée ; tu y seras tranquille. Personne ne connaît l'adresse et...

- Shota... l'interrompit-t-elle gentiment. Je ne peux pas.

- Tu ne veux pas l'épouser. Tu ne sais même pas pourquoi tu te lances là-dedans. Tu as le choix. Pourquoi tu t'entête ? Qu'est ce qui fait que tu sois aussi bornée ?

- Je ne peux pas, c'est tout...

- Viens avec moi.

- Quoi ?

- Laisse le tomber et viens avec moi. Tu sais ce que je ressens et je sais ce que tu ressens. Le choix logique serait que tu viennes avec moi.

- Tu sais très bien que je contrôle mal mon alter. Sans ça, tu n'aurais jamais su ce que je...

- Ça se lit sur ton visage, avec ou sans alter ! Que tu refuses, je peux le comprendre. Mais donne moi au moins un vraie raison.

- Shota... Je ne peux pas... C'est tout. Arrête maintenant... » Elle s'était remise à pleurer. Il s'en voulait de la mettre dans cet état mais il ne pouvait se satisfaire de ses réponses évasives et sans substance. Il l'attira à nouveau à lui et la souleva pour la porter.

« Qu'est ce que tu fais ?!

- Je t'enlève.

- Quoi ? Arrête, c'est ridicule. Repose moi !

- Pas plus que tes réponses ! Je suis un héros pro, je juge que tu te mets toi même en danger alors j'interviens pour te mettre à l'abri.

- Shota ! Arrête ça maintenant !

- Pas tant que tu ne m'auras pas expliqué.

- Il n' y a rien à expliquer. »

Et douze ans après...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant