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Une main ferme secoua mon épaule, m'arrachant brutalement au sommeil.

— Stacy. Debout. Tu vas être en retard.

La voix de Blake ne tolérait aucune réplique. Pas de "bonjour", pas de douceur. Juste un ordre. J'ouvris les yeux, aveuglée par la lumière crue qui filtrait déjà à travers les rideaux. Avant même que je puisse grogner une protestation, la porte de ma chambre claquait déjà derrière lui.

Je m'extirpai de la chaleur protectrice de ma couette, frissonnant dès que mes pieds touchèrent le parquet froid. La routine. Toujours la même. Douche brûlante pour effacer la fatigue, puis le rituel de l'habillement face au miroir. J'optai pour une jupe noire, coupe patineuse, s'arrêtant mi-cuisses, et une chemise blanche simple que je rentrai à l'intérieur. Classique. Inoffensif.
Du moins, c'est ce que je croyais.

En descendant les escaliers, l'odeur du café et un silence pesant m'accueillirent. Ils étaient tous là, dans la cuisine. Une meute. Mes frères portaient encore leurs tenues de sport, le jogging lâche, les muscles saillants, à l'exception de Blake, déjà sanglé dans son costume bleu marine, l'air d'un PDG impitoyable.

Dès que je franchis le seuil, les conversations cessèrent. Cinq paires d'yeux se braquèrent sur moi. L'air devint instantanément plus lourd, presque difficile à respirer.

— Remonte, lâcha sèchement Chris sans même me regarder, les yeux rivés sur son téléphone.
Je me figeai, ma main crispée sur le dossier d'une chaise.

— Pardon ?

— Tu as entendu, renchérit James en croisant les bras, ses biceps contractés sous son t-shirt. Va te changer.

— C'est juste une jupe, tentai-je, la voix tremblante de frustration.

— Trop courte, trancha Blake. Change-toi. Maintenant.
Le ton était sans appel. Une menace sourde vibrait dans sa voix. Je sentis la colère monter, une boule brûlante dans ma gorge, mais je connaissais trop bien les règles. Résister ne servait à rien avec eux. Je lâchai un soupir excédé, fis volte-face et remontai les marches en tapant des pieds comme une enfant, seule rébellion qu'il me restait.

De retour dans ma chambre, j'arrachai la jupe et enfilai un jean. Je gardai la chemise, mais par pure provocation, je nouai les pans au-dessus de mon nombril. Un compromis.

Quand je redescendis, James me scanna de la tête aux pieds, un sourcil levé.

— C'est acceptable. Mange.

Je l'ignorai royalement, attrapant un bol et mes céréales. Le silence n'était troublé que par le bruit de ma cuillère. L'atmosphère était électrique, comme avant un orage.

— Je vais au lycée à pied, annonçai-je en fixant mon bol. Je passe prendre Lola.

— Hors de question, coupa Chris.

— Sérieusement ? Vous êtes étouffants à la fin !

— On passera la prendre, décréta Louis d'une voix calme qui contrastait avec la tension ambiante. Fin de la discussion, Stacy.

Je serrai les dents. Fin de la discussion. C'était toujours comme ça. Je sortis mon téléphone sous la table pour prévenir Lola. Mes doigts volaient sur l'écran.

> « Ils refusent que je marche. Commando fraternel activé. On passe te prendre. Désolée... »

> « T'inquiète ma choupette 🥺 Je vous attends. Courage. »

Quelques minutes plus tard, le SUV noir familial fendait la route. L'habitacle était spacieux, huit places, mais avec eux, l'espace semblait minuscule. Chris conduisait, les mains crispées sur le volant. Louis était passager. Léo s'était assis à ma gauche, tandis que Nick et James occupaient la banquette arrière, formant un mur infranchissable autour de moi.

Quand nous arrivâmes devant chez Lola, je descendis pour l'accueillir. Dès qu'elle grimpa à côté de moi, l'air devint un peu plus respirable. C'était ma bouée de sauvetage. Comme pour exorciser la tension, la radio cracha les premières notes d'Electric Love.
Sans un mot, on se regarda. C'était notre rituel. Une bulle d'insouciance au milieu des fauves.
On se mit à chanter, d'abord doucement, puis en hurlant le refrain, ignorant les regards blasés de mes frères dans le rétroviseur.

« Baby, you're like lightning in a bottle... I can't let you go now that I got it... »

Pendant trois minutes, je n'étais plus la petite sœur surprotégée. J'étais juste une ado normale. Mais dès que le moteur s'arrêta devant le portail du lycée, la réalité me rattrapa. Le silence retomba.

Chris se tourna vers moi, son regard d'acier plongeant dans le mien.
— La règle, Stacy.

— On ne se connaît pas, récitai-je mécaniquement.

C'était leur condition. En public, nous étions des étrangers. Une façon tordue de me protéger, disaient-ils. Ou de contrôler mon image.

Je descendis de la voiture avec Lola, inspirant une grande goulée d'air frais.
Au loin, Gérard et sa bande nous attendaient. Il nous fit un signe de la main.

— Ça va ? demanda-t-il en nous faisant la bise.

— Disons que la garde rapprochée est en forme olympique ce matin, souffla Lola avec un sourire compatissant.

Nous nous dirigeâmes vers l'affichage des emplois du temps. La foule était compacte. Je me sentais enfin libre, noyée dans la masse des élèves. Mathieu, le meilleur ami de Gérard, nous rejoignit, un sourire charmeur aux lèvres. On récupéra nos plannings dans un chaos joyeux.

— Salle 128, Histoire-Géo, grimaça Mathieu en regardant ma feuille par-dessus mon épaule. On est ensemble.

On réalisa soudain l'heure. En retard.
On courut dans les couloirs déserts pour atteindre la salle 128. Mathieu ouvrit la porte, et nous nous glissâmes à l'intérieur, le souffle court, sous le regard sévère du professeur.

— Vous êtes en retard. Asseyez-vous. En silence.
Je balayai la salle du regard pour trouver une place libre, et mon sang se glaça.

Au fond de la classe, assis comme des rois sur leurs trônes, se trouvaient Nick et James. Je l'avais oublié. Nous avions ce cours en commun avec les terminales cette année.

Leurs visages étaient inexpressifs, mais leurs yeux...
Ils ne regardaient pas le professeur. Ils ne regardaient pas Lola.

Ils fixaient Mathieu, qui venait de poser sa main sur mon bras pour m'indiquer une chaise vide à côté de lui.
Je vis les mâchoires de mes frères se contracter simultanément. Leurs pupilles semblaient s'être dilatées, envahissant l'iris, rendant leurs regards noirs, abyssaux. Une promesse de violence pure.
Mathieu ne le savait pas encore, mais il venait d'entrer dans la fosse aux lions.

ᴍʏ ᴘʀᴏᴛᴇᴄᴛᴏʀs Où les histoires vivent. Découvrez maintenant