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Le silence qui suivit notre intrusion fut plus bruyant qu'un coup de feu.

La voix de la professeure, glaciale et tranchante, brisa l'instant de flottement.

— Je peux savoir ce que vous faites là ?

Mathieu, complètement inconscient du danger mortel qui planait au fond de la salle, afficha un sourire d'excuse désarmant.

— Désolé, Madame. Erreur de salle. On cherchait la 128 pour l'Histoire.

— C'est au bout du couloir. Sortez. Immédiatement.

Je n'attendis pas qu'elle le répète. Mais avant de pivoter sur mes talons, je commis l'erreur fatale. Je levai les yeux vers le fond de la classe.

James et Nick n'avaient pas bougé d'un millimètre. Ils étaient pétrifiés dans une posture de prédateurs prêts à bondir. Leurs mâchoires étaient si serrées que je pouvais voir les muscles tressaillir sous la peau. Ce n'était pas de l'agacement. C'était de la rage pure.

James dévia lentement son regard de moi vers Mathieu. C'était une condamnation à mort silencieuse.
Je saisis la manche de Mathieu et le tirai presque hors de la salle, le cœur battant à tout rompre contre mes côtes. Une fois la porte refermée, je m'appuyai contre le mur froid du couloir, inspirant difficilement.

— Eh ben, sympa l'accueil, rigola Mathieu en remettant son sac en place. T'as vu la tête des types au fond ? On aurait dit qu'ils allaient me bouffer.

Un rire nerveux m'échappa. Si tu savais...
— On devrait se dépêcher, murmurai-je.

Nous trouvâmes la bonne salle, la vraie 128. Lola et Gérard étaient déjà installés. Je me laissai tomber sur ma chaise, mais la sensation de brûlure dans mon dos persistait. J'avais l'impression qu'ils pouvaient me voir à travers les murs. Le cours commença, le prof débita ses règles sur le bavardage, mais ses mots ne m'atteignaient pas. Je passai l'heure à fixer mes mains tremblantes, redoutant la sonnerie.

La pause déjeuner arriva comme une sentence inévitable.
La cafétéria était un immense brouhaha de plateaux qui s'entrechoquent et de rires d'ados. Mais dès que nous entrâmes dans la file, l'atmosphère changea subtilement.

Une vague de silence se propagea depuis l'entrée.
Mes frères venaient d'arriver.
Ils ne faisaient pas la queue. Ils ne demandaient pas pardon. Ils fendaient la foule comme la Mer Rouge, passant devant tout le monde avec une arrogance naturelle, presque royale. Personne n'osait protester. Ils prirent leurs plateaux et se dirigèrent vers leur table habituelle, au centre, le point stratégique d'où ils pouvaient surveiller tout le réfectoire.

— Sérieux, ils se prennent pour qui ? souffla Mathieu en les regardant passer.

— Baisse les yeux, chuchotai-je instinctivement.
Nous prîmes nos repas et cherchâmes une place. Le destin, ou peut-être une malédiction, voulut que la seule table libre soit dans leur champ de vision direct. Je m'assis dos à eux, espérant devenir invisible, mais je sentais leurs regards peser sur ma nuque comme des plombs.

— Alors, le programme après les cours ? demanda Lola pour détendre l'atmosphère, piquant une frite dans mon assiette.

— Devoirs, répondis-je machinalement.

— Tu es trop sérieuse, Stacy ! intervint Mathieu. Il posa son coude sur la table et se pencha vers moi, réduisant la distance entre nous. Avec Gérard, on pensait aller au skatepark. Tu devrais venir. Ça te changerait les idées.
Son sourire était charmant. Vraiment. Mais tout ce que je voyais, c'était le danger.

Soudain, un bruit sec de métal contre métal résonna derrière moi. Une chaise qu'on recule brutalement.
Je me figeai.

Mathieu ne remarqua rien, continuant de me détailler avec intérêt.

— Allez, dis oui... insista-t-il en effleurant ma main posée sur la table.

Le contact de sa peau sur la mienne me fit l'effet d'une décharge électrique. Pas de plaisir, mais de terreur. Je retirai ma main précipitamment.
— Je... je ne peux pas.

La sonnerie retentit, me sauvant d'une catastrophe imminente. Je me levai si vite que je manquai de renverser mon plateau.

La fin de la journée fut un calvaire. Je dis au revoir à mes amis à la hâte devant le portail, évitant soigneusement de regarder Mathieu, et me dirigeai vers le SUV noir où la garde impériale m'attendait.
L'air à l'intérieur de l'habitacle était saturé de testostérone et de colère froide.

Je m'assis à l'arrière, au milieu, coincée.
Le moteur démarra dans un rugissement, mais personne ne parla. Le silence était pire que des cris. Il était épais, lourd, étouffant.

— Tu as des choses à nous expliquer, Stacy, lâcha finalement Louis depuis le siège passager, sans même se retourner.

Sa voix était calme. Trop calme.

Point de vue de James :

Je serrais le volant si fort que le cuir crissait sous mes doigts.

Dans le rétroviseur, je voyais son visage pâle. Elle avait peur. Tant mieux. La peur, ça évite de faire des conneries. Mais apparemment, ça n'avait pas suffi aujourd'hui.

L'image tournait en boucle dans ma tête : ce type. Ce déchet.

Entrer dans notre classe était une chose. Une erreur, passons. Mais le voir à la cafétéria ? Le voir se pencher vers elle ? Le voir la toucher ?

J'avais failli traverser le réfectoire pour lui briser le poignet sur la table. Si Blake n'avait pas posé sa main sur mon épaule pour me contenir, le lycée serait déjà en train d'appeler une ambulance.

— C'était qui ? demandai-je, ma voix n'étant plus qu'un grondement sourd.

Elle hésita. Mauvaise idée.
— Juste... l'ami de Gérard.

— Je m'en fous de qui c'est l'ami, cracha Chris à côté de moi. D'où il sort ? Pourquoi il te parle ?

— C'est un nouveau ! On est dans la même classe, c'est tout ! Il est juste sympa !

Nick, assis à côté d'elle, tourna lentement la tête. Son regard était vide de toute émotion, ce qui le rendait encore plus terrifiant.

— "Sympa", répéta-t-il avec dégoût. Tu crois qu'on est aveugles ? Il te bouffait des yeux.

— Vous êtes paranos ! cria-t-elle, une pointe de désespoir dans la voix.

Je pilai au feu rouge, un peu trop brusquement, nous projetant tous légèrement vers l'avant. Je plongeai mon regard dans le rétroviseur pour capter le sien.

— On n'est pas paranos, Stacy. On est réalistes. Les types comme lui, on sait ce qu'ils veulent.

— Ne lui parle plus, ordonna Léo.

— Mais on est dans la même classe !

— Tu changes de place. Tu l'ignores. S'il te parle, tu réponds pas. C'est clair ?

Elle ne répondit pas. Elle détourna la tête vers la vitre, les larmes aux yeux.

Je redémarrai brutalement. Elle ne comprenait pas. Elle pensait qu'on voulait gâcher sa vie. Elle ne voyait pas que le monde était rempli de loups et qu'elle était la seule brebis.

Nous étions les bergers. Et ce Mathieu... il venait de se porter volontaire pour servir d'exemple.

Une fois garés devant la maison, elle sortit en trombe, claquant la portière. Je la regardai courir jusqu'à l'entrée.

Blake m'attendait sur le perron, son téléphone à la main, impeccable dans son costume. Il avait dû rentrer plus tôt. Il vit le visage décomposé de Stacy passer devant lui, puis nos têtes d'enterrement.

Il haussa un sourcil quand je sortis de la voiture.
— Un problème ?

— Un parasite, répondis-je en verrouillant la voiture. Mais on va s'en occuper.

Blake sourit, mais son sourire n'atteignit pas ses yeux.
— Bien. Je ne veux pas de désordre.

Je montai les marches. Stacy était déjà enfermée dans sa chambre. Je sortis mon téléphone et envoyai un message au groupe qu'on avait entre frères, sans elle.

> James : Trouve-moi le nom de famille du nouveau. Mathieu. Classe de Stacy. Je veux son adresse ce soir.

ᴍʏ ᴘʀᴏᴛᴇᴄᴛᴏʀs Où les histoires vivent. Découvrez maintenant