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Un dirigeable privé transporta Adela et Molly du domaine familial des Finest vers l'extrémité ouest de Londres. En regardant par les hublots, Adela pouvait voir les lumières de la ville défiler devant elle, témoignages de l'accent mis par la reine Victoria sur le progrès scientifique. L'énergie fournie par la vapeur avait révolutionné toutes les industries de la Terre et permis la colonisation de la Lune et de Mars par les britanniques. La banlieue ouest de Londres était devenue le point de départ des nouvelles fusées, dont celles en construction pour la prochaine expédition vers Vénus. Pour la jeune femme, cette période était sans aucun doute le moment le plus merveilleux de l'histoire de l'humanité.

Mais pourtant, cette période sans précédent n'était pas dépourvue de son lot d'injustice. Tandis que Lady Adela voyageait sur le pont supérieur, Molly devait se contenter d'attendre dans la salle de chargement, à moins qu'elle ne soit appelée pour une raison impérieuse. Pour la jeune lady, tout cela était du plus grand ridicule, mais la comtesse ne transigeait pas sur les convenances et l'équipage du zeppelin craignaient plus la comtesse qu'ils n'admiraient Adela. Elle n'avait donc guère le choix que de se soumettre à la rigueur maternelle.

Lorsque le dirigeable fut arrimé au quai ascensionnel, Adela ne tarda pas à débarquer et à retrouver Molly dans la zone d'embarquement, se tenant discrètement debout, deux pas à l'arrière du homme élégant.

Il était blond aux traits délicats, et si son visage semblait n'exprimer aucune émotion, ses grands yeux bleus paraissaient sourire pour lui. Son costume était à la dernière mode londonienne, ses bottes parfaitement cirées, et un élégant mouchoir de soie cramoisie ornait la poche de sa veste. Contrairement à de nombreux membres de la Société Royale des Sciences qui portaient souvent des hauts-de-forme agrémentées d'un placage en laiton et des monocles du dernier cri en matière d'optique avancée, l'homme portait un chapeau plus modeste et sobre et pas de lunettes.

Adela prit plusieurs respirations profondes en descendant les escaliers en luttant pour empêcher son cœur de jaillir hors d'elle. Elle tenta de se convaincre qu'il n'y avait aucune raison d'être anxieuse puisque le duc et elle correspondaient ensemble pour la mission depuis plus d'un an sur une base saine et amicale.

Elle s'en était presque convaincue quand elle atteignit le bas des escaliers. Gabriel Hamilton retira son chapeau et s'inclina légèrement en la saluant.

- Mademoiselle Adela Finest, je présume ?

La jeune femme perçut une pointe d'anxiété dans la voix de l'homme et savoir qu'il était également nerveux l'aidait à se calmer.

- En effet, Monsieur. C'est un plaisir de vous rencontrer en personne, Lord Hamilton.

- Je vous en prie, vous pouvez m'appeler Gabriel, si vous le souhaitez, répondit-il, timidement.

Adela entendit résonner à son esprit la voix de sa mère lui interdisant de se permettre un tel manque à l'étiquette. Cela rendait d'autant plus agréable de le faire.

- Avec plaisir, dit-elle.

Gabriel se tourna pour regarder Molly.

- Et vous devez être l'assistante dont miss Adela m'a dit tant de bien.

Molly rougit, son regard toujours dirigé vers le sol mais avec un sourire aux coins des lèvres. Les membres de la haute société victorienne ne mentionnaient jamais l'aide que les subalternes pouvaient leur fournir, oubliant volontiers leurs présences sauf pour s'en plaindre. De sorte que la jeune servante n'avait pas l'habitude que l'on s'adresse à elle directement en des termes amicaux. Cette sensation étrange qui résultait de la combinaison de l'embarras et du bonheur de Molly fit sourire Adela et elle souhaita accentuer le compliment.

En attendant VénusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant