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Sur la scène, l'acteur qui interprétait Roméo chantait à pleins poumons son amour pour Juliette, tandis que Tybalt louvoyait en arrière plan. Adela soupira. Le travail de conception de la scène utilisait des plates-formes hydrauliques activées par la vapeur afin de changer le décor à volonté. Mais le jeu d'acteur semblait surjoué, retirant beaucoup d'émotions à l'histoire.

Gabriel jeta un regard en direction de Lady Finest.

- Qu'en pensez-vous ?

Molly sourit. Elle était familière des expressions et du langage corporel de sa maîtresse, même dissimulés derrière un masque de décorum. Les deux jeunes femmes échangèrent un coup d'œil avant qu'Adela ne prenne la parole.

- Je ne suis pas sûre que Roméo et Juliette aient besoin d'une adaptation lyrique de ce genre... » murmura-t-elle, un peu gênée.

- Ah... fit Gabriel. Eh bien... je ne peux pas être totalement en désaccord.

- Mais il ne faut pas croire que je ne vous suis pas reconnaissante pour cette sortie, s'empressa d'ajouter la jeune savante. J'apprécie énormément votre compagnie.

Elle se sermonna intérieurement pour son manque de tact et sa critique de l'œuvre sans tenir compte du ressenti de Gabriel. Ses doigts s'enfoncèrent dans le siège dans un effort pour se libérer de sa culpabilité. Molly posa une main rassurante sur la sienne.

- Je suis content, dit le duc. J'apprécie aussi votre compagnie. C'est tellement merveilleux d'avoir enfin un visage et une voix pour accompagner votre écriture... et vos calculs impeccables.

Adela sourit en rougissant et Lord Hamilton continua.

- Mais vous avez raison, cette histoire et ses intrigues n'auraient pas été les mêmes si ces personnages avaient fait preuve d'une meilleure communication.

- Exactement, riposta Adela. D'autant que leurs échanges avaient si bien commencé. Toutes les histoires d'amour n'ont pas la chance de débuter par un sonnet.

Mais intérieurement, elle se dit que tout le monde n'a pas eu la chance de rencontrer l'amour par un baiser ou une caresse. Toutefois, elle n'était pas sûre qu'il fut judicieux de l'exprimer à haute voix.

- Si ils avaient eu un ou une alliée pour les aider, rien de tout ça ne serait arrivé. Pourquoi ne pas se servir de Rosaline comme émissaire ? osa Molly, bien qu'on ne lui demanda pas son avis.

- Vous pensez qu'elle aurait pu les aider ? demanda Gabriel.

- Probablement. S'ils avaient eu quelqu'un de confiance pour transmettre les messages, ils auraient peut-être survécu.

Adela sourit à cette idée. Au fond de son esprit, les relations amoureuses et romantiques devaient se tenir à la lueur des chandelles en tête à tête plutôt qu'en petit comité de trois personnes. Mais la discussion l'amusait trop pour y mettre un terme.

- Roméo n'aurait certainement pas du porter autant d'affection uniquement à Juliette, ajouta Molly. En passant de Rosaline à Juliette, il se coupe de plusieurs possibilités. Mais la morale est parfois trop rigoureuse.

La jeune femme acheva sa phrase par une profonde inspiration et Adela sentit la tension qui s'était emparée de son assistante. Gabriel lui saisit le menton et tourna son visage vers lui.

- Vous voulez dire que si leur culture avait été plus ouverte aux groupes amoureux plutôt qu'aux couples, cela aurait pu donner une histoire et un dénouement différent ?

Adela fixa la main de Molly. Ses pensées s'emballaient. Les émotions de la camériste étaient souvent difficiles à lire, mais elles n'échappaient pas à son œil expert. Et à cet instant le doute s'empara d'elle. Molly n'était-elle pas en train d'admettre, par des chemins détournés, une attirance plus qu'amicale pour elle et Gabriel ? Mais ce genre de relation n'était socialement pas acceptable, ni à Londres, ni ailleurs... Elle risquait d'être reniée par sa mère et d'être rejetée par la société victorienne si elle avouait son intérêt pour les idées et les envies de Molly. Toutefois, elle osa :

En attendant VénusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant