Chapitre 12

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Ma semaine professionnelle est ponctué d'intervalles de bonheur et d'anxiété. Que voulez-vous? La vie de coach sportif n'est pas toute rose. Surtout lorsqu'on est jeune et qu'on débute dans le métier. Certains se donnent le droit de critiquer à tout va. Des permanents insatisfaits qui démotiverait n'importe qui. Il y en a dans toutes les situations. J'en suis bien consciente. Seulement, j'ai tellement peu confiance en moi et en mes capacités, que leurs remarques m'affaiblissent et me rendent vulnérables.

Je ne sais jamais de quoi demain sera fait, si mon corps tiendra le rythme imposé par les cours, si les associations qui m'emploient tiendront le coup, si les gens apprécieront toujours mes contenus...

C'est d'autant plus compliqué que je suis désormais célibataire, sans personne à qui me confier. Je ne suis, de toutes manières, pas du genre à me plaindre à mon entourage.

Mon assiduité au judo et à mon cours de yoga maintien mon moral à flots, ainsi que les quelques compliments et paroles bienveillantes de certaines licenciées.

La complicité naissante avec Romain est une distraction bienvenue en ces temps troubles.

Avec lui, je n'anticipe pas l'échec. Je vis dans l'instant présent, profitant de nos échanges et des soirées pendant lesquelles on se retrouve parfois. Je me laisse aller à accepter les diverses activités qu'il peut me proposer sans me poser milles questions. Ma vie monotone de petite-amie d'huissier étant derrière moi, je me laisse aller à la découverte et au tourbillon de vie que mon nouvel amant m'apporte.

C'est un pétillement de joie et d'excitation de le retrouver avant le cours de judo du vendredi. Nous covoiturons, à trois cette fois, avec Eric, un ami de Romain et judoka de Torigny. Ils se connaissent depuis plusieurs années et ont pratiqué ensemble dans leur ancien club de Saint-Lô. De plus, ils sont collègues travaillant pour la même fondation psychiatrique. J'écoute leur conversation d'une oreille et la musique de l'autre. Ils échangent joyeusement à propos du judo et, plus sérieusement, à propos de leurs emplois.

Romain n'est pas particulièrement satisfait de sa situation professionnelle. Lui qui, théoriquement est infirmier pratiquant les entretiens individuels psychiatriques, a été réquisitionné pour prendre en charge le logiciel patient et former ses collègues à son utilisation. De l'informatique bien pénible, quoi...

Je n'ai pas bien compris ce que faisait Eric, mais ce n'est pas particulièrement le centre de mes préoccupations, je dois bien l'avouer.

L'impatience grimpe d'un cran lorsque nous pénétrons dans le dojo où l'odeur si particulière des tatamis nous accueille chaleureusement. Bon, oui, ça sent un peu les pieds, mais nous, judokas, c'est surtout l'odeur de l'endorphine secrétée pendant nos cours!

Evidement, avant le cours, Michel nous rappelle qu'il reste des places pour le Grand Slam de Paris et me tente d'un clin d'œil accompagné de sourires. Oui, la tentation est forte! Je n'ai jamais cru au hasard et cette place est pour moi, j'en suis certaine! Par ailleurs, la crainte de m'ennuyer est toujours trop forte. J'ai trop souvent laissé de côté mes désirs pour suivre ceux d'un homme qui n'en valait pas la peine. Je pense que cette sortie n'en vaut pas la peine alors je refuse cette ultime demande.

Notre entraînement est assez similaire à celui de lundi. Compréhensible de la part du prof qui prépare deux cours pour deux publics similaire dans la semaine. J'en profites pour perfectionner mes enchaînements avec Eric. Sa forme de corps est agréable. Son judo est propre et souple. Il est gainé sans être raide même si l'on sens une appréhension pour les chutes. Je le comprends. Ayant débuter le judo adulte, je n'ai pas la même rapport aux chutes que les judokas ayant commencés enfants.

Mon dernier randori est réservé à Romain! D'un gabarit similaire, nous donnons l'un contre l'autre, tout ce que nous avons en ressources. Les attaques, esquives et contres s'alternent. Nous transpirons et soupirons de bonheur. Un simple échange de regard scotche sur nos visages des sourires niais. Le monde cesse d'exister . Notre randori se mue en danse sportive et sensuelle.

Jusqu'au "Maté" annonçant la fin du cours. Sur les recommandations de Michel, nous nous allongeons de tout notre long sur le sol. Calmant notre rythme cardiaque et notre respiration saccadées. Quelques dizaine de secondes nous suffisent pour nous apaiser. Tous, sauf Romain, qui ventile toujours comme un bufflon pris entre les remous d'une rivière et les crocodiles affamés. Merci le tabac!

Judo et sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant