Affranchie Tome 1 : Rachetée

Chapitre 7

Je me laisse glisser contre le mur en laissant tomber le poncho. J'entends Mr.Dev hausser la voix depuis son bureau. Mes yeux retombent sur le poncho et je commence à me dire que le roi est sûrement mon dernier espoir. C'est le temps qui me reste qui me pousse à dire ça, autrement jamais je n'aurais fait confiance à un inconnu et encore moins à un gars au comportement peu commun rencontré dans un supermarché...

La vérité c'est que plus les jours passent et plus je suis désespérée, si bien que je serais prête à me raccrocher à n'importe quoi. Au delà de ça, il y a aussi le fait que le roi et Emmanuel sont les seuls à m'avoir porté de l'intérêt et de la bienveillance, les seuls qui tentent de m'aider alors que toute ma vie, j'ai eu l'impression que tout le monde cherchait à m'enfoncer.

Les mots de Joeffrey résonnent encore dans mon esprit. J'ai beau faire croire que rien ne m'atteint et que je me suis résignée à accepter les insultes et les paroles blessantes, cela est totalement faux. Nous sommes des êtres humains, pas des robots, je ne peux pas m'empêcher de ressentir de la colère et d'être blessée par ses paroles même si je ne l'ai jamais apprécié.

On peut penser à tort que lorsque des personnes vivent des choses difficiles ensemble, cela les rapproche et solidifie leur relation. Même si c'est le cas pour certains, la vérité c'est qu'on ne peut pas donner ce que l'on ne connaît pas et ce que l'on a jamais reçu. Comment se soutenir et se montrer compatissant quand on se sent écrasé depuis toujours ? Comment avoir du respect lorsqu'on ne nous en a jamais montré aucun ?

Plus le temps passe, et plus je commence à me dire que Mr.Dev nous ment depuis toujours, en nous faisant croire que la vie est telle qu'il nous l'a montré : des blessures, de la haine et ce besoin constant d'écraser les autres en s'imaginant que c'est ça, la clé du bonheur. Personne n'est heureux ici, ça prouve bien qu'on s'est tous trompé.

Je sers le poncho contre moi, sa chaleur est réconfortante. Je ne peux m'empêcher de me sentir comme un imposteur, je ne mérite pas ce qu'Emmanuel fait pour moi. Je ne mérite pas qu'un roi se déplace et s'acharne à envoyer des demandes d'adoptions à tout va pour me sortir de là.

D'après toi, que fait une personne qui t'aime pour toi ?...

Il y a quand même quelque chose qui m'échappe : pourquoi font-ils tout ça pour moi ? Ils ne me connaissent pas et je n'ai rien fais pour eux ! Je ne pourrais jamais leur rendre la pareille.

La porte du bureau se ferme brusquement. Mr.Dev avance d'un pas rapide vers l'entrée et m'ordonne de me relever ce que je fais. D'un geste violent, il m'arrache le poncho des épaules et le tend vers le roi.

-Elle est revenue avec ça mais ce n'est pas à elle alors reprenez-le !

Le roi le regarde d'un air interrogateur avant de se tourner vers moi.

-Qui te l'as donné ? Me demande-t-il.

-C'est Emmanuel. Je réponds un peu impressionnée.

-La connaissant elle a sûrement dû le voler et s'enfuir avec ! S'exclame Mr.Dev et tenant le poncho comme s'il s'agissait de la plus immonde des serpillères.

-Non il me l'a prêté ! Répliqué-je.

Il me toise du regard mais le roi prend la parole avant qu'il n'ait pu me dire quoi que ce soit.

-Bien, si Emmanuel te l'a prêté, ce n'est pas à moi de le reprendre. Décide le roi avant de quitter le foyer sous le regard médusé de Mr.Dev.

-Mais...Commence ce dernier.

-Au revoir Jaël. Me salue le roi d'un signe de tête.

-Au...Au revoir...Je réponds, légèrement stupéfaite de la situation.

Alors que la porte se referme, Mr.Dev tient toujours le poncho dans sa main. Il reste un moment de marbre puis reprend ses esprits.

-Bien puisque le roi se fiche pas mal de cette couverture je vais me faire un plaisir de m'en occuper moi ! Dit-il en se dirigeant vers son bureau.

Connaissant bien ses intentions je lui cours après et lui crie :

-Très bien, quand Emmanuel viendra le chercher je lui expliquerais ce que vous en avez fait !

Il me regarde, les yeux écarquillés. Il n'a pas le choix : il est coincé.

-Sale vaurienne ! Tu ne t'en sortiras pas comme ça ! Hurle-t-il en me jetant le poncho à la figure. Retourne travailler et dépêche-toi !

Je me remets au travail le sourire aux lèvres, satisfaite de ne pas l'avoir laissé me faire du mal. Je remets le poncho autour de mes épaules devant le regard noir de Joeffrey qui n'a visiblement rien de mieux à faire que d'épier mes moindres faits et gestes.

La journée se finit bien, même si l'ambiance au foyer reste la même, en moi quelque chose semble avoir changé. Je ressens comme une chaleur dans ma poitrine, quelque chose que je n'avais jamais ressentie avant. Même si les autres dévisagent mon nouveau vêtement, je m'en fiche pas mal. Qu'ils pensent du mal ou du bien de moi ne m'a, jusqu'à présent, jamais aidé à me sentir mieux.

Au fond, je pense que Joeffrey a raison et même si je me mets les autres à dos en portant ça, je ne peux pas m'empêcher de me sentir privilégiée quelque part. Parce que contrairement à eux, quelqu'un m'a manifesté de la considération et je sais que c'est ce dont on rêve tous ici. Alors peut-être qu'il ne me reste pas beaucoup de jours, mais je compte les vivre de toutes mes forces, pour être au moins satisfaite de quelque chose quand je partirais, et ce, peu importe ce qu'on me dira, parce que je n'ai plus rien à perdre.

Je reprends la pelle que j'ai laissé en plan ce matin et recommence à travailler. Même si ce travail est pénible et qu'à cause de lui j'ai mal partout, cette fois il est plus agréable.

Parce que pour la première fois, alors que je suis dehors en plein hiver, je n'ai pas froid.

9 jours...