-1.1 : Perfecto & lunettes noires -

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Florine trépignait sur place.

Dans le reflet de sa boîte en fer-blanc, il la voyait basculer le bassin de gauche à droite, une revue appuyée contre son torse. Ses mains impatientes repassaient les plis zébrant sa courte jupe lorsqu'elles n'étaient pas occupées à peigner sa frange blonde. Sans doute la fille attendait-elle un regard avant d'approcher, dans la crainte de se faire rembarrer au premier mot. Ce serait mal le connaître mais Florine était de ces filles-là ; comprenez bien que se prendre un vent à dix-sept ans, c'est tragique.

Saturnin savait qu'elle patientait et pourtant, ne sut se résoudre à la saluer. Il avait eu le temps de se faire à l'idée, depuis les vacances d'été au centre, que Florine avait le béguin pour lui.

Et pas qu'un peu.

Là était bien le problème, il l'avait bien cherché.

L'approche fut timide et elle tomba raide dingue de lui avant qu'il s'aperçoive de la chose. Ils avaient passé leurs présoirées et soirées à se trémousser ensemble, corps contre corps, à danser le rock'n'roll près du juke-box sous le préau, sur les plus grands hits des Stooges. La pièce qui tintait, les lumières néons autour qui s'allumaient puis le basculement d'épaule aux premiers accords ; cela les rendait juste heureux.

Les autres adolescents n'avaient pas trouvé le moyen de les séparer pour choisir une musique. Florine et Saturnin ne se lâchaient pas d'un pouce. Leur passion commune pour la musique anglo-saxonne les anima deux mois durant.

Monsieur Lange, qui était chargé de les surveiller et qui tenait à l'appareil comme à la prunelle de ses yeux, leur donnait deux francs chaque fois qu'ils le réclamaient et récupérait sa pièce dans la machine, après que les jeunes furent repartis chez eux. Derrière son allure traînante, les deux inséparables avaient compris que ces quelques notes de guitare lui rappelaient de vieux souvenirs de la guerre du Vietnam et s'en amusaient. Quelle ne fut pas leur joie lors du dernier jour avant la reprise de l'école, quand il avait rejoint la danse.

Saturnin assis sur le sable, la jeune femme finit par s'avancer et s'installa à côté de lui. Fière d'avoir fait le premier pas, Florine suivit le regard de celui qui faisait battre son cœur vers l'horizon. Elle plia les genoux pour que ses grosses chaussettes vert pomme assorties à sa jupe ne touchent pas le sable puis, quelque peu nerveuse, se mit à triturer une mèche de cheveux. 

Avant-hier, sa mère lui avait fait la surprise de l'emmener dans une boutique réputée sur la côte. Elle ne croulait pas sous l'argent mais avait proposé à Florine de choisir une jupe et une paire de chaussettes – celles qu'elle portait aujourd'hui – pour fêter son passage en troisième année de lycée. Elle n'avait alors qu'une hâte : montrer sa nouvelle tenue à son ami, Saturnin, qui avait un goût prononcé quoique souvent particulier pour la mode.

Depuis quelques jours, malgré ses efforts et son sourire, elle sentait bien qu'il tentait de s'écarter et cela la peinait. Saturnin, lui, ne savait plus comment contourner le problème. L'adolescente n'avait qu'un an de moins mais à ses yeux, ce n'était qu'une gamine. Danser à ses côtés ne signifiait pas qu'il l'aimait, qu'il voulait l'embrasser, puis l'épouser et faire un enfant avec, mais simplement que ce fut grâce à elle que les vacances étaient passées si vite.

Le silence devenant long, elle jeta un œil discret à son voisin. Puis incapable de rester de marbre face à ce qu'elle voyait, elle se mit à pouffer.

— Quoi ? lâcha Saturnin en réprimant un rire.

— Tu es paré pour décembre avec cette tenue. Tu n'as pas trouvé plus chaud dans ton placard pour te poser à la plage ?

— C'est long d'attendre l'hiver, je voulais le remettre. Tu ne trouves pas que ça me donne un style avec les lunettes ?

Elle fronça le nez et réfléchit un instant à sa définition du « style ». Ne disait-on pas qu'il fallait allier utile et confortable ? Il transpirait dans son manteau mais était trop buté pour se l'avouer. L'apparence avant tout. Son perfecto en cuir noir se démarquait tellement au milieu du sable que Florine n'avait même pas fait attention au reste. Et pourtant... Un nouveau rictus lui parcourut les lèvres lorsqu'elle croisa le regard de Saturnin, caché derrière ces deux énormes hublots d'un noir cassis.

Supernova [EN AUTOEDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant