Chapitre 1

107 10 18
                                    



  Dans la campagne anglaise géorgienne, à quelques heures à cheval de la côte, vivait une grande famille dans une très vieille et très vaste demeure. À quelques pas de là, quelques miles plus loin, habitait une autre famille, dans une maison plus modeste.

  Les barons, lord et lady Price, avaient trois enfants, tous garçons. L'aîné, Henry, était âgé de 13 ans, le second, Stephen, fêterait bientôt ses 10 printemps et Aaron, le cadet, arrivait également à la fin de sa 8e année de vie. Ils vivaient dans une immense et vieille résidence qui — chaque nouveau venu ne manquait pas de le faire remarquer — aurait grand besoin de rénovations. Les fissures étaient telles que chaque fois que l'on passait le porche, on ne pouvait éviter une pensée pour le jour où on serait ensevelis sous les tonnes de roches. Car, oui, la façade était de grosse pierre, si bien qu'en été, la maison était toujours fraîche. Mais l'hiver, les lourdes tapisseries aux murs, déchirées par les années, avaient bien du mal à conserver le peu de chaleur que laissait échapper un petit feu de cheminée. Ce qui précipitait la dégradation des meubles et des tentures qui moisissaient sans qu'on pût rien y faire.

  Lady Katherine Price était de bonne naissance. Elle avait vécu son enfance à Londres, dans une famille aisée, dont le père, d'ailleurs, était membre au parlement. Elle avait épousé sir Bertram Price lors de sa vingtième année, lui-même ayant fait le voyage de chez lui jusqu'à Londres, sur les conseils de son vieux père. Il était bien plus âgé qu'elle, aussi, il n'avait pu en croire ses oreilles lorsque Katherine avait acquiescé à sa demande en mariage. Quelle ne fut pas sa déconvenue quand, enfin arrivée dans l'antique demeure familiale de son mari, elle découvrit l'extrême pauvreté de la bâtisse, l'ambiance sombre des couloirs froids et les parents tyranniques qui sans cesse la critiquaient.

  Elle, croyant ferrer le « plus gros poisson de la ville », s'était retrouvée unie à un homme taciturne et glacial dans ses relations les plus intimes. Un époux qui passait le plus clair de son temps dans sa grande bibliothèque personnelle, qui ne sortait jamais et qui écoutait la parole d'évangile de sa mère. Elle ne fut pas longue à regretter les beaux salons londoniens où elle exerçait avec goût ses savoir-faire de femme du monde. Elle savait jouer du piano, de la harpe, elle chantait et dansait à la perfection et tous ses talents n'avaient plus de sens dans la retraite forcée où elle s'était lancée. Ici, ses compétences – faibles certes – de dame d'intérieur étaient sans arrêt remises en question par sa belle-mère acariâtre et rude avec toute personne n'étant pas son fils.

  De son côté, sir Bertram Price avait vite découvert l'inutilité de son épouse. Il était revenu de ce voyage à Londres avec l'idée d'une femme trophée, mais, se rangeant à l'avis de sa mère, lady Victoria Price, il avait rapidement changé d'attitude envers sa conjointe. Elle qui s'était retrouvée choyée, comblée de cadeaux, ne recevait plus que des remontrances à longueur de journée. C'est ainsi, dans cet univers moisi et froid, rempli de conflits peu voilés, qu'était né le premier enfant, Henry.

  À peine venu au monde, il faisait déjà l'objet de nouvelles querelles dans la famille. Ce premier né, un garçon, rendait heureuse cette lignée chargée d'histoires et de légendes. Les mâles sont toujours les mieux accueillis, c'est connu, ce sont les enfants qui hériteront de tout. Mais le bonheur chez les Price ne durait jamais bien longtemps. Cette fois-ci, on trouva l'excuse du nom à donner au nouveau-né pour pouvoir hurler à la face du monde ce que l'on pensait de chacun. Lord Archibald, nouvellement devenu grand-père, souhaitait nommer cet enfant comme son père, suivant les anciennes traditions de la lignée. Mais Bertram, jugeant cette coutume vieillotte et se rangeant à l'avis de sa mère et de sa femme, avait prénommé son fils Henry.

Stonemanor : Le Manoir de pierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant