Chapitre 4

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Je n'en reviens pas. Je fais face à cet arbre comme lorsque je suis en train de rêver. Il est là, je suis là, comme si rien ne s'était passée. C'est comme si le temps s'était figé. Je pose ma main sur l'écorce rugueuse de mon arbre, submergée par les émotions. Tout avait été réel, tout est réel. Les images me heurtent sans ménage. Je souffre. Le temps est chaud, sec, lourd. J'entends des grondements qui font vibrer le feuillage de ce vieil ami. Le soleil a peu à peu disparu pour laisser un ciel ombragé, gris, aussi maussade que mon esprit. Une goutte d'eau roule sur ma joue, je ne distingue pas si c'est une larme ou la pluie. Peut-être que c'est Louis qui pleure pour moi. Je lève les yeux vers le ciel, j'ai envie de hurler ma douleur au monde entier, on m'a tout pris. Mais je suis rappelée à l'ordre par le grondement déchirant d'un éclair. Je suis à bout de force, psychologiquement vidée de toute énergie. Incapable de tenir sur mes jambes plus longtemps, je m'écroule sur ces racines. Je suis prête à croire au destin en ce jour, le chemin que j'ai pris devait m'emmener ici. Je devais retrouver mon arbre. Je suis une survivante et je dois agir en tant que telle. Épuisée, sur ce sol mouillé par la pluie, je finis par sombrer dans un long sommeil.

Plus tard, en rentrant à l'orphelinat accompagnée de mes amies qui m'avaient retrouvé à la limite de l'hypothermie, je n'avais pas été en mesure de raconter cette histoire. Je ne suis toujours pas en mesure de raconter ce qu'il s'est passé ce Mardi vingt-six Avril deux mille vingt-deux. C'était il y a un an. Mais c'est encore si présent. Oui j'ai survécu à un tsunami d'une énorme envergure et on s'attend à ce qu'avec les nouveaux outils ultra performants d'aujourd'hui on puisse limiter la casse des catastrophes naturelles, mais il n'en est rien. Je me suis résignée à prendre la mort pour une fatalité. Je pense l'avoir côtoyée plus que quiconque. La première fois que j'ai échappé à la mort j'avais trois ans...

Le temps a continué de filer sa course vers l'infini. Je me suis encore plus renfermée sur moi-même, luttant au quotidien par la froideur de la solitude et des espoirs morts. Je joue le jeu d'acteur de toute une vie et j'ai l'impression de bien m'en sortir. Je mérite un oscar car je commence à croire en mes mensonges. Je vais bien. Je vais aussi bien que la femme qui a perdu son mari, je vais aussi bien que la maman qui perd son bébé, aussi bien que l'enfant qui se retrouve seul sur son petit manège. Oh oui je vais bien. Ma vie est rythmée par mon travail à mi-temps, par mes rééducations et par mes mensonges. Je me noie dans la musique et dans des vices plus horribles. Et comme je suis vouée à souffrir et mourir doucement, je pousse les retranchements possibles de ma dernière moitié de poumon. Je m'égare dans d'autres contrées paisibles en prenant de l'herbe. C'est une idiotie sans fin, j'en suis consciente mais grâce à cette drogue végétale je peux dormir sans me réveiller pendant cinq à six heures. Et puis je respire mieux, ça reste une plante médicinale dans certains pays. Merci les cookies revisités. 

Depuis l'année dernière j'ai progressé tout de même. Je suis parvenue à avancer dans ma vie et à me faire à l'idée que Louis est parti, que je ne suis pas responsable. Je suis en mesure de poser les mots sur ce qu'il s'est passé il y a deux ans. Je fais partie d'un nombre impressionnant de survivant. Et je ne suis pas seule. Je ne suis pas encore prête à dévoiler comment ça s'est passé mais j'ai réussi à être assez honnête avec les filles. Elles savent maintenant que l'arbre sous lequel elles m'ont retrouvé à demi consciente était l'arbre dans lequel je me suis réfugiée lors du tsunami. Elles savent que j'ai vu Louis se faire happer par la vague. Elles savent que j'ai essayé d'aider des gens et que j'ai échoué. Elles pensent savoir mais finalement, non, elles ne savent rien. Elles ne peuvent pas comprendre que si je souhaite aller à ce concert c'est vital. Elles ne savent pas que j'ai perdu mon enfant, elles ne savent pas que j'ai sauvé la vie d'un homme qui vivait la même situation que moi, elles ne savent pas la douleur d'avoir un bout de métal froid planté dans sa cage thoracique, elles ne connaissent pas non plus la sensation de soif intense qui nous brule la gorge alors que nous prenons des rassades d'eau salée. Elles ne savent pas la peur panique d'entendre le calme avant la tempête. Finalement peu de gens comprennent mais lui, lui il sait. Il sait l'horrible sentiment d'être un pantin désarticulé, il connaît la piqûre lancinante du sel sur des plaies béantes qui nous empêche de dormir. Lui il connaît et j'ai besoin de voir qu'il se porte bien. Je sais que c'est lui qui m'a sauvé quand j'ai fini de cesser de respirer au bout d'une lutte acharnée. Je me souviens encore la sensation de chaleur de sa main dans la mienne. J'entends encore sa voix dans le creux de mon oreille, son souffle dans mes cheveux... Lui il sait le sentiment que l'on a quand on se croit grand mais que l'on est insignifiant et je veux qu'il sache qu'il est important pour moi car il m'a sauvé la vie. Je veux qu'il sache que je sais que c'est faux tout son cinéma de star, je veux lui dire qu'il n'est pas seul. En fait c'est purement égoïste, peut-être qu'il ne fait pas semblant, peut-être qu'il a tourné la page, qu'il a fait son deuil. Il est entouré après tout, et il a une passion vibrante. Il est adulé et absolument pas invisible. Tout le monde le connaît, ou du moins pense connaître. Mais moi je sais. Moi je sais qui est ce Nicholas Jonas qui paraît si accessible et en même temps si renfermé.

The tree of our live - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant