Anxieuse, étouffant sous les couches de tissus composant son kimono, elle scrutait la salle, l'air inquiet. Elle n'aurait su dire depuis combien de jours elle était obligée de s'asseoir sur ce trône inconfortable, tandis que petits comme grands seigneurs affluaient de tout le royaume pour lui prêter serment.
Toutes ses pensées étaient tournées vers lui. Avait-il bien reçu la missive qu'elle lui avait fait envoyer ? Viendrait-il ? Peut-être était-il, lui aussi, comme bon nombre de seigneurs du nord, contre le fait de voir une femme à la tête d'un si vaste territoire.
La perspective de leurs retrouvailles l'angoissait bien plus que la veille d'une bataille décisive. La victoire inespérée de ses troupes sur le clan adverse était en soit un accomplissement des plus remarquables. Cependant, elle n'y avait vu là qu'un prétexte pour enfin s'octroyer le droit de l'appeler à ses côtés. Peut-être ne s'était-elle pas battue pour la régence, mais simplement pour obtenir le pouvoir d'être maîtresse de ses choix et de sa destinée.
De toutes les opportunités qu'elle avait envisagées, celle-ci était la plus discrète. Elle n'aurait pu rêver mieux, l'invitation officielle se noierait dans le flot des convocations et était bien moins risquée que toutes ces lettres clandestines qu'ils avaient échangées au fil des derniers mois. Après avoir prêté serment, il se verrait dans l'obligation de séjourner en ville jusqu'au couronnement qui ferait d'elle la souveraine du plus vaste territoire du pays, lui donnant tout le loisir de tenter d'arranger des retrouvailles plus intimes.
Néanmoins, craignant que le Destin ne décide à nouveau de se jouer d'eux, elle avait pris le risque inconsidéré de demander en personne au scribe impérial la confirmation que l'invitation de ce seigneur en particulier avait bien été envoyée. Le scribe, d'abord surpris par sa demande, avait acquiescé poliment avant de s'empresser de retourner à sa tâche. Heureusement pour elle, il n'avait posé aucune question, mais elle était sûre d'avoir décelé une pointe de suspicion sur son visage. Bien que rétrospectivement, il s'agissait d'un geste d'une inconscience folle qui aurait pu ruiner tous ses efforts, il lui avait fallu à tout prix en avoir le cœur net.
L'heure avançait, dans la chaleur étouffante de l'après-midi. Tout en s'éventant, elle continuait d'accueillir ses nouveaux vassaux les uns après les autres. Par moments, elle lançait des regards furtifs en direction du fond de la salle, espérant y voir se dessiner la silhouette du seul invité qu'elle attendait réellement. Avec un sourire poli, elle acquiesçait machinalement sans vraiment prêter attention aux paroles de ses interlocuteurs qui se succédaient sans répit.
Le temps passait, le bruit assourdissant des grillons occultait les creuses paroles de ceux qui se présentaient devant elle. Elle commençait à perdre espoir, son regard se perdait dans le vide au fur et à mesure qu'elle-même sombrait dans ses pensées. Et s'il ne venait pas ? Se torturait-elle tout en resserrant le poing qui protégeait son secret. Peut-être se berçait-elle d'illusion ? Le contenu de ses lettres était toujours si pieux... Peut-être ne lui répondait-il que par politesse, par devoir ?
Tandis que le soleil déclinait à l'horizon, projetant une lumière rosée à travers les fins panneaux de la pièce, un mouvement au fond de la salle attira son attention. Son visage s'illumina lorsqu'elle posa les yeux sur lui. Elle aurait reconnu sa silhouette élégante entre mille. Une étrange sensation de chaleur se diffusa dans son corps tout entier et réchauffa son âme.
Il est là, enfin ! se dit-elle, utilisant toute la force de sa volonté pour ne rien laisser paraître. Elle aurait voulu congédier toute l'assemblée d'un claquement de doigts, se dédier à lui et à lui seul, toute entière. Se tenir à ses côtés au clair de lune, et admirer son air rêveur lorsqu'il contemplerait le ciel tout en décrivant les aventures de ses voyages. Ayant soudain la désagréable impression que l'assistance pouvait lire ses pensées, elle se dissimula derrière son éventail, honteuse de s'être laissée aller à de telles aspirations.
Elle ne put se retenir bien longtemps avant de se hasarder à tourner une nouvelle fois la tête vers lui. Il n'était plus qu'à quelques mètres d'elle et la fixait si intensément, qu'elle crut sentir son cœur bondir hors de sa poitrine. Tel un enfant pris la main dans le sac, il se crispa avant de contempler ses pieds pour feindre l'indifférence. Cette vision l'amusa et la fit sourire tendrement.
L'estomac de la dame se nouait au fur et à mesure qu'il se rapprochait. Ils n'étaient finalement, plus séparés que par un ultime obstacle : un dernier serment. Ce n'était plus qu'une question de secondes avant qu'elle ne puisse, sans honte, détailler son visage et plonger ses pupilles dans les siennes.
C'était sans compter sur un seigneur à la verbe facile qui s'était mis à étaler la ferveur avec laquelle il comptait accomplir son devoir envers elle. Son assommant discours n'en finissait plus. Le temps sembla ralentir, prenant un malin plaisir à prolonger son agonie. Malgré elle, elle continuait de chercher à croiser le regard qui la fuyait. Depuis de longues minutes, il semblait complètement obnubilé par la justesse de son obi et le tombé de son yukata.
Enfin, l'autre se tut et céda sa place. Les yeux toujours rivés sur le sol, son nouvel interlocuteur n'eut pas l'air de se rendre compte que c'était à son tour de prendre la parole. Elle desserra son poing qui jusqu'ici n'avait pas quitté son genou, et d'un geste qu'elle aurait voulu moins tremblant, lui tendit le dos de sa main, pour le rappeler à elle. Surpris, il releva la tête et lui saisit la main. Le minuscule morceau de papier caché entre le pouce et la paume de la demoiselle glissa alors dans celle du jeune seigneur qui ne parut même pas le remarquer.
Lorsque leurs yeux se rencontrèrent, le temps sembla suspendre son cours. Elle fut surprise de voir à quel point ces derniers mois avaient creusé ses joues et fatigué ses yeux. Il était comme un cierge que l'on venait de rallumer. Soudain emplie d'une tristesse infinie, elle fut incapable d'entendre le moindre mot qu'il avait prononcé, tant les battements de son cœur tambourinaient dans ses tympans. Elle dut utiliser toute la force de sa volonté pour ne pas fondre en larmes. Elle aurait voulu se jeter dans ses bras, prendre son visage entre ses mains et poser son front sur le sien pour lui signifier qu'elle ne laisserait plus jamais personne les séparer.
Les lèvres du jeune seigneur effleurèrent sa main, et avant même qu'elle n'ait pu esquisser le moindre geste, il s'était relevé et avait quitté la salle sans se retourner, l'abandonnant à ses obligations...
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Prédestinés
Historia CortaSi le destin décidait de se jouer de vous, accepteriez vous votre sort ou tenteriez vous de changer votre destinée ?