Coup de foudre à Bigfork

Chapitre 1 - Bienvenue à Bigfork

Point de vue d'Ana

***

    Le visage tourné vers le hublot, je regarde défiler les nuages que l'on traverse aisément depuis près de quatre heures maintenant. Quatre heures que je me demande pourquoi je suis montée dans ce foutu avion. Enfin, je sais pourquoi, mais POURQUOI ?! J'aurais pu dire non ? Chercher un boulot ailleurs, j'en ai les compétences évidemment, alors pourquoi ne pas lui avoir tenu tête ? Peut-être parce que je tiens à l'héritage de mes parents, peut-être parce que je n'ai que ça...

Je soupire, me repassant dans ma tête la scène d'il y a quelques jours.

***

54h plus tôt.

    — Tu n'as pas de cœur Ana ! Sincèrement, si tu ne changes pas, tu vas finir ta vie toute seule ! Même les chats ne voudront pas de toi.

    — Et bien, c'est tant mieux, car je n'en veux pas non plus, je lui réponds froidement alors que je le vois faire les cent pas autour de son bureau.

    — Ana, tu es une belle femme, tu es forte et indépendante mais j'ai promis à vos parents de prendre soin de vous. J'ai déjà échoué avec Alex, je n'ai pas envie que tu suives le même chemin.

    — Je ne compte pas partir à l'autre bout du monde pour risquer ma vie pour un pays qui se fout royalement de nous ! je lui lance avec colère.

    Il sait que ma sœur me manque et que j'ai toujours été contre sa décision de s'engager dans l'armée. Mais avec le temps - dix ans maintenant - j'ai appris à m'y habituer, même s'il ne se passe pas une seule journée sans que je m'inquiète pour elle.

    — Je ne parle pas de ça. Sérieusement, vous vous faites vieilles toutes les deux. Alexandria a au moins l'excuse de son boulot pour n'avoir personne dans sa vie, mais toi ? Tu pourrais avoir n'importe qui !

    — Écoute Georges, ça ne m'intéresse pas et toi mieux que personne devrait savoir à quel point il est difficile de concilier MON boulot et une vie amoureuse.

    — Ne fais pas les mêmes erreurs que moi. J'ai été à ta place avant de prendre celle de ton père et je sais que ces années-là, ont été les plus solitaires qui soit. Et pour quoi ? Une carrière ? Et ne me fais pas le coup de « on fait ça pour les enfants ! ». Je sais très bien qu'ils te dégoûtent au plus haut point, s'exclame mon oncle avec impatience.

    — Ils ne me dégoûtent pas ! J'ai juste beaucoup de mal avec eux... On ne comprend même pas ce qu'ils racontent ! Puis ce n'est pas la question. C'est toi qui m'as placée là, qui m'as mise à la tête de tout le département marketing. Qu'est-ce que tu es en train de me dire ? Que tu regrettes ? Que je devrais simplement arrêter ? Pour quoi faire ? Trouver quelqu'un avec qui passer ma vie ? Wow. Sérieusement, est-ce que j'ai une tête à prendre ce genre de décision ?! Tu me connais, sans doute mieux que personne. Je n'ai pas le temps pour ces conneries, et je ne veux pas avoir le temps pour ça ! Les relations à l'eau de rose là, ça ne m'intéresse pas.

— Tu n'as pas envie d'un peu de compagnie ?! me demande-t-il, presque énervé.

    Qui n'en a pas envie ? Évidemment, passer ses soirées seule, se réveiller seule, manger seule, vivre seule, ce n'est pas ce qu'il y a de plus joyeux. Mais je me suis habituée à ce quotidien sans changement, j'ai pris l'habitude de faire de mon travail le centre de ma vie, et rien ne me fera changer ça. Je ne pourrais jamais m'investir totalement dans une relation, je le sais. Je n'ai pas le temps, pas l'envie, et je ne ressens aucun besoin de m'engager. Je n'ai d'ailleurs jamais vraiment compris où était le bonheur là-dedans. Devoir rendre des comptes sur ce que l'on ressent, mettre des mots, des étiquettes sur ses sentiments, ressentir de la jalousie, les disputes, les drames... Je soupire rien que d'y penser. Pourquoi s'engager ? Pourquoi ajouterais-je tout ça à ma vie déjà bien remplie ? Pour de l'affection ? J'en rigolerais presque.