Aujourd'hui, nous sommes jeudi. Cela fait depuis trois jours que maman s'occupe de moi, et j'ai demandé à Kieran de recopier les cours exclusivement sur ordinateur pour qu'il me les envois. C'est plus facile comme ça et ça me permet de ne pas perdre de temps. L'idéal serait que je retourne en cours demain, mon corps est un peu plus rouge pour certaines raisons, mais il n'y a plus cette image de terrain volcanique. Tout semble beaucoup plus sensible. Maman arrive dans ma chambre.
Mère - C'est prêt, aller, zou, à la salle de bain !
Manhattan - Hmm.
Ces trois jours m'ont permis de m'adapter aux prochaines routines quotidiennes. D'abord, je me déshabille et met un maillot de bain. Je m'assieds sur le tabouret de douche. Maman passe un peu d'eau tiède sur mon corps et prend une éponge très douce, elle la frotte à un savon antiseptique, puis applique le savon sur mon corps très doucement. De la façon dont ses mains bougent, je peux déduire que ses gestes sont délicats, méticuleux. Son regard est fixé sur mes plaies, il est très amer. Je sens la souffrance dans ses yeux, ça doit être terrible pour elle de voir son fils dans un tel état. Je me sens coupable de sa souffrance, mais la beauté d'un flot cristallin a emporté toutes les précautions mises en œuvres.
Mère - Tu te sens comment, ce matin ?
Manhattan - Je me sens comme à mon habitude, bien, j'imagine.
Mère - Tu as bien dormi ?
Manhattan - Hmm.
Mère - Tu as de l'appétit ? Tu as envie de quelque chose ? Je vais à la boulangerie, alors si tu veux quelque chose, tu peux me le faire savoir.
Manhattan - J'ai une envie excessive de jus d'orange... Ultra frais...
Mère - D'accord, je vais voir pour ça. Autre chose ?
Manhattan - Pas vraiment.
Mère - Dans deux semaines, on passe voir l'ergothérapeute. J'ai pris un rendez-vous plus proche.
Manhattan - ... Hmm.
L'ergothérapeute est gentil. Mais qu'est-ce qu'il me fait sentir dépendant... C'est incroyablement désorganisé et démotivé que je retourne dans ma chambre le soir après un rendez-vous. J'ai l'impression de me débattre contre une toile d'araignée, c'est collé à moi et ça n'est pas prêt de me lâcher. C'est vrai, je ne sens pas la douleur, mais à force, j'ai su m'adapter aux choses, bizarrement, je peux visualiser les bonnes choses à faire et les mauvaises. J'ai ma propre définition de la vie et je sais que je peux m'en sortir tout seul, je peux en quelques sortes sentir mon corps, je sais si il se tient droit ou non car on m'as appris à tenir une bonne posture. Je sais ce qui est le meilleur pour moi, puisqu'on m'a répété ces mêmes choses toute ma vie. Le pire viendras certainement, et pour éviter de me retrouver seul et dans la pire des situations, il faut que j'apprennes ces mauvaises choses de moi-même.
Mère - ... Je sais que je ne devrais pas... Mais ça m'arrangerais de faire les courses après le petit déjeuner, alors, que dirais-tu d'aller manger directement à la boulangerie ? Et après on iras faire les courses tous les deux ?
Manhattan - M-Moui !
Ma journée devient de là plus intéressante, maman jusque là ne m'autorisais pas à aller autre part qu'en cours. Cela fait des années que je ne suis plus entré dans un magasin !
Mère - Tu as l'air heureux, ça me fait plaisir. C'est vrai que ta vie ne doit pas être scintillante avec une mère surprotectrice... Tu passe tes journées à la maison.
Manhattan - Non c'est juste que, je me sens un peu seul à force.
Mère - Je vois, je sais que mon petit garçon veux grandir et obtenir son indépendance, mais tu es dans un état où il faut bien apprendre pour avoir le moins de conséquences possible. Ton évolution doit alors être un peu ralentie...
Manhattan - Je pense que j'ai assez appris, je peux sentir ce qui est bon ou mauvais pour moi.
Mère - Je trouve que c'est trop tôt. Tu as 13 ans, Manhattan. Malgré ta maladie, tu es intelligent et mature, mais je refuse de croire que tu es déjà prêt. Tu es encore maladroit.
Manhattan - Je regardais juste l'eau couler, je n'ai pas vu le trait mais Orée avait laissé sa température d'eau. Je l'ai juste un peu avancée en supposant qu'elle avait déjà pris une partie de l'eau chaude...
Mère - Comment ça ?
Manhattan - Quand Orée a pris sa douche l'autre fois, et que tu y es entrée à ton tour, tu as dit qu'elle avait pris toute l'eau chaude... Que l'eau était froide après son passage, peut-importe si tu mettais le régleur de température au maximum de l'eau chaude.
Mère - ...C'est ça qui t'as induit en erreur ?
Manhattan - Pour être honnête...
Mère - Sois honnête.
Je suis toujours honnête...
Manhattan - C'était aussi une volonté de réussir seul... Et peut-être aussi un peu d'admiration... Je pensais faire une page sur l'éloge de l'eau...
Mère - *Soupir*... Mon garçon, si tu te met toujours dans des situations dangereuses, c'est parce que tu es rêveur. Tu aime observer, et c'est ce désir de te rapprocher d'une chose bien ordinaire qui t'éloigne de la réalité. Je comprend cette envie d'indépendance, mais avant l'indépendance, il faut la conscience. Or, tu as souvent la tête dans les nuages.
Manhattan - L'eau m'a fait penser à une rivière éternelle...
Mère - Et alors que tu pensais à une rivière, ton corps brûlait à cause de celle-ci.
Manhattan - ...
C'est mal ? C'est mal de penser à une rivière ?
Mère - ... Ce que je veux dire par là, c'est que c'est bien beau de penser à tout ça, mais il ne faut pas oublier que tu ne ressent pas la douleur. Je ne te demande pas d'arrêter de rêver, d'observer et de faire ce que tu aimes, mais je te demande de faire plus attention. Par exemple, si tu te douche avec autonomie, ne prend pas le mot autonomie à la légère. Il faut que tu sois responsable de toi-même, et donc de ton bien-être. C'est ça aussi, l'indépendance. Si tu veux observer, tu peux, mais observe tout en ayant une partie consciente en toi. Tu dois être conscient des risques qui t'entourent. Si tu n'es plus sûr de la température, tu dois regarder avec le thermomètre.
Manhattan - Je sais...
Elle continue de me nettoyer le corps au savon, puis elle le rince. Elle me sèche et prend des compresses pour désinfecter mes blessures les plus sensibles et les panser.
Mes bras finissent avec des bandages aussi blanc que les nuages, mon torse aussi. Mes jambes sont moins touchées mais par précaution, elle les enveloppes. Il n'y a plus qu'à m'habiller et nous pourrons partir. Je sais les douleurs quotidiennes de ma mère, et si elle venait à en devenir malheureuse, je saurais que sa douleur vient de la mienne.
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Le jour se lève dans la nuit
SachbücherManhattan est un garçon attendri par les petites choses de la vie, l'eau le fascine, les couleurs l'éblouissent, les saisons le rendent observateur de la beauté du monde. Mais qu'en est-t-il de la beauté humaine ?