Chapitre 1

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J'avais les poings serrés dans les poches de mon cahouet bleu ciel. Madame Orlanne me serait très fort dans ses bras en me répétant " Fermes les yeux, Anthéa, tout va bien se passer". Assise sur le sol inconfortable j'acquiescais sans dire un mot.

J'entendais au dessus de nous les planches de bois du navire qui grinçaient entre elles à chaque fois que quelqu'un passait. La forte odeur de poisson me donnait plus envie de vomir que la mer agitée.

Au bout d'un certain temps, un homme ouvrit violemment la porte de la cabine.

- L'équipage manque de personnels en haut ! Des volontaires majeurs ! ordonna-t-il.

Nous étions une vingtaine, il n'y avait que des nourrices et des enfants. Le reste tentait de gérer la tempête.

- Attends moi ici, surtout ne bouge pas je reviens vite, me dit Madame Orlanne me caressant la joue avant de se lever.

À ce moment là, je n'ai pas réagis mais je savais que quelque chose allait se produire.

Mon père était encore en haut, il avait prit les commandes à cause du malaise du prétendu "capitaine" . Heureusement, nous n'étions plus très loin de L'île de Narawi.

D'autres femmes ont rejoint ma nourrice, nous n'étions plus beaucoup.
Émile, le neveu de madame Orlanne, n'arrêtait pas de frapper sa tête contre la coque, il me stressait plus que je ne l'était déjà.

Il y avait aussi la fille de l'ami de mon père... Janna, je crois. Elle pleurait en hurlant depuis que nous avions embarqué. J'avais l'impression d'être la seule à rester calme.

- Eh, toi là ... petit au cahouet bleu, appela un garçon assis sur une botte de foin à côté d'Émile.

Pensant qu'il ne s'adressait pas à moi je me tournai vers lui sans lui répondre.

- t'es sourd où quoi ? me dit-il d'un air méprisant.

Il était plus âgé que moi de trois années sûrement, mais n'était pas très grand en taille.
À ses pieds, dormait un gros chien de berger marron, qui ronflait presque aussi fort que mon oncle Boris.

- Je ne suis pas un garçon... répondis-je en lui adressant un regard noir.

- on s'en moque, passe moi la balle ! exigea-t-il.

C'est vrai que j'avais une capuche et les cheveux très courts mais je ne ressemblais pas à un garçon.

Mes cheveux étaient bruns foncés et j'avais de petits yeux noirs. On me disais souvent que je ne ressemblais à aucun de mes parents mais plutôt à ma grand mère paternelle, autant physiquement qu'au niveau du caractère.

J'ai regardé la balle rouge qui glissait d'un côté à l'autre de la cabine pendant un moment. La petite voix dans ma tête m'a dit de faire quelque chose que je n'aurai sûrement pas dû faire.

- Dépêche toi gamin !s'écria-t-il.

Je pris la balle d'une main, attrapai une aiguilles à coudre, que madame Orlanne avait posé par terre, de l'autre main et...
Boum !

Tout les regards étaient posés sur moi.
Le garçon s'est levé furieux, réveillant son chien par la même occasion.

- Ma balle ! Tu vas me la payer, enfant du démon des mers ! s'écria t'il en m'attrapant par le col.

Je n'aurai peut être pas dû faire ça, mais du haut de mes six ans, l'envie de faire une bêtise me rongeait depuis trop longtemps. Il me tenait contre le murs, malgré sa petite taille et ses bras gringalet, il arrivait à me faire décoller du sol. Je lui donnai un coup de pied dans l'entre jambe, en sachant que je portais de grosses bottes de pluie.

La porte de la cabine s'ouvrit juste avant qu'il ait eu le temps de hurler.

- Anny ! Qu'est ce que vous faites debout ! s'énerva mon grand frère, Guzmani.

Je m'apprêtais à ouvrir la bouche pour lui répondre, quand une planche de la coque se mit à légèrement craquer. Le gringalet me relacha sous l'effet de la surprise, il se replia sur lui même en sufoquant de douleur.

Tout le monde commençait à paniquer sans trop le montrer. Janna cria de toute sa voix tandis que Guzmani referma instinctivement la porte derrière lui.

- Asseyez-vous ! Sourtout restez agrippés à quelque chose ! hurla-t-il.

Le reste s'est passé en une fraction de seconde. Le gringalet m'attrapa d'un geste rapide et me teint très fort contre lui.

- Ne bouge pas, chuchota-t-il.

Des cris s'en suivirent, des bébés, des femmes, des hommes. Je fermai les yeux la tête entre les bras de ce garçon que je détestais quelques secondes plus tôt. La coque céda finalement, faisant voler des morceaux de bois énormes dans tous les sens. J'ai senti l'une de ses larmes couler sur mon épaule, je n'arrivais pas à réaliser ce qu'il était en train de se passer. Mon cahouet fut très vite imbibé d'eau froide et mes bottes en caoutchouc glissèrent de mes pieds. Je m'agrippai à lui de toutes mes forces malgré le dégoût qu'il m'inspirait.

La suite ? Elle était très vague. Je me suis réveillé dans l'eau, le nombre de tasse d'eau de mer que j'avais avalé n'était même plus dénombrables. À mon réveil, il était encore là. Je ne savais pas nager et lui se débrouillait comme il pouvait, d'un bras il se tenait à un morceau de bois et de l'autre il me tenait.

Je dois avouer qu'à ce moment il était bien plus calme que moi. J'ai attrapé ce même morceau de bois et tenté de me stabiliser.

Autour de nous, plus rien. Il n'y avait que lui et moi agrippé à un truc qui ne tiendrait sûrement pas longtemps à cause de nos poids. J'ai hésité à le pousser pour sauver ma peau... Mais il m'avait peut-être sauvé la vie donc bon.

Le ciel était sombre, la lune pleine et les étoiles clignotaient. Nous étions silencieux au milieu de ces hectares d'eaux dans lesquels vivaient les plus immenses mammifères marins de tout le royaume.

Je l'ai regardé, ses cheveux noirs mouillés laissaient tomber quelques gouttelettes d'eau sur la planche de bois, on aurait dit qu'il somnolait. Si je meurs je ne veux pas mourir seule, je lui ai donné un petit coup d'épaule, il s'est réveillé.

- Je ne veux pas mourir ici, m'a-t-il dit en éclatant en sanglot.

Où étions nous ? Où était mon frère ? Mon père et les autres ? Il fallait que je revois madame Orlanne, il fallait que je vive.

Anthéa : À Moitié Réciproque Où les histoires vivent. Découvrez maintenant