Chapitre 2

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15 août 1937.

La journée commençait comme d’habitude. Le soleil s’est levé, inondant la boutique d’une lumière encore faible. Quelques heures ont passé, puis Mr Mac Jude est descendu déjà vêtu de son habituelle salopette et prêt à ouvrir la boutique devant de nouveaux clients.

Dans la journée, les nuages sont arrivés et le tonnerre a grondé dans tout Londres. Puis, la pluie. Rien que la pluie.

La journée s’annonçait triste, pourtant, elle ne le serait pas pour moi.

En milieu de matinée, un petit garçon a secoué la sonnette à l’entrée, ouvert la porte et pénétré dans la boutique comme chaque client. Mais sur son visage, quelque chose sonnait faux. Peut-être le sourire qu’il adressa au propriétaire ou ses traits rusés que je remarquai quand il passa devant mon étagère. Il était étrange, ce qui ne m’a pas empêché d’espérer qu’il me choisisse. De plus, cela faisait déjà quatre ans que je m’ennuyais dans ce lieu misérable.

J’espérais. Au plus profond de moi, j’espérais être choisi.

J’ai réussi. Après avoir inspecté de ses yeux comme des fentes chaque produit de chaque étagère, le garçon qui ne me paraissait pas avoir plus d’une dizaine ou d’une douzaine d’années me prit dans ses mains.

Quelle agréable sensation !

Il faut me comprendre : je n’avais jamais été soulevé de l’étagère depuis que Mr Mac Jude m’y avait posé, il y a quatre ans.

Le garçon s’est dirigé vers la caisse où mon maitre le regardait d’un œil méfiant. Il m’a posé sur le comptoir et a dit :

-Je veux celui-là.

Il m’a semblé que sa voix avait fait frissonner Mr Mac Jude. Ce n’était pas étonnant : cette voix avait quelque chose d’un… d’un serpent. Oui, un serpent. Comme un murmure mais qui resterait audible par une personne qui se serait trouvée au coin opposé de la boutique.

Mon propriétaire m’a tiré vers lui, m’a mis dans un petit sac à ma taille très inconfortable qu’il a tendu au garçon en récupérant les gallions que celui-ci avait posé sur le comptoir. Avant que le garçon empoigne le sac dans lequel je me trouvais à présent, Mr Mac Jude a lancé d’un ton bourru, comme pour masquer la gêne qui s’était installée depuis que le garçon avait parlé :

-Tu me parais un peu jeune pour te balader seul dans l’Allée des Embrumes, mon petit.

-J’suis orphelin, a répliqué le client de sa voix sifflante.

-Comment t’appelles-tu ? a demandé le propriétaire
.
-Pourquoi mon nom vous intéresse-t-il ? a lancé l’enfant immédiatement, sur la défensive. C’est bon, je m’appelle Tom Jedusor, a-t-il ajouté en comprenant son erreur.

Puis il a tourné les talons et il est sorti de la boutique comme en coup de vent.

J’étais tellement heureux, au fond de ma petite plume de phénix ! Pour la première fois de ma vie, je sortais de Jude’s Black Book ! Pour la première fois de ma vie, je pénétrais dans le monde extérieur qui m’avait tant attiré pendant quatre ans ! Pour la première fois de ma vie, j’allais servir à quelqu’un !

Je n’aurais pas dû me réjouir de cette façon. Oh oui, j’aurais pu le comprendre rien qu’à la façon de parler de Tom Jedusor, rien qu’à son regard rusé et mesquin. Ou même rien qu’à son nom qui sonnait comme un mystère que personne ne pourrait jamais percer, comme un nom que les gens auraient peur de prononcer.

Mais à ce moment-là, j’étais aveuglé par la joie d’avoir enfin quitté cette boutique.

Tom a marché le long de l’Allée des Embrumes. Les sorcières et les sorciers qui l’entouraient -qui nous entouraient- le regardaient d’un œil méfiant. Ils avaient tous des robes noires et leurs regards presque vides faisaient peur. Ils devaient tous se dire que ce petit garçon n’avait rien à faire tout seul ici. L’allée était noire, sale, lugubre… Un endroit où on n’aurait pas voulu passer la nuit. Ou même la journée. Un endroit où on n’aurait pas aimé se trouver, tout simplement.

Enfin, la peur qui régnait dans l’Allée des Embrumes se dissipa lorsque nous arrivâmes dans une allée perpendiculaire, qui était beaucoup plus grande, et qui celle-ci était joyeuse, lumineuse, chaleureuse, bondée de personnes plus souriantes les unes que les autres et accueillante malgré la pluie d’été qui continuait de tomber.

Tom avait déjà quelques sacs qu’il tenait au bout de ses bras, y compris le mien. Mais d’après ce que je pus comprendre, il n’avait pas tout ce qu’il lui fallait.

Il s’est dirigé vers les boutiques lumineuses où il est allé chercher des plumes, des uniformes noirs avec un blason, comme celui d’une école, des ingrédients pour préparer des potions, et d’autres objets. Le dernier magasin où nous sommes entrés s’appelait « Ollivander ». Tom en est ressorti avec encore un nouveau sac qui contenait une longue et étroite boite dans laquelle se trouvait une baguette magique qui avait choisi Tom, si l’on en croyait ce que le vendeur de baguettes magiques avait dit à mon nouveau propriétaire.

C’était une journée exceptionnelle pour moi, j’avais enfin découvert le monde des sorciers, après tant d’années d’espoir. D’après ce que j’avais pu lire, cette allée si chaleureuse était le Chemin de Traverse, un endroit où les jeunes sorciers allaient acheter leurs fournitures scolaires pour une certaine école de sorcellerie qui se nommait Poudlard.

Si j’en croyais les brides d’informations que j’avais pu comprendre, Tom Jedusor devait avoir onze ans et il allait entrer à Poudlard en septembre prochain. Autrement dit, dans moins d’un mois. Et il allait sûrement m’emmener avec lui. J’avais hâte de voir ce qui allait m’arriver !

Mais à ce moment-là, j’avais l’esprit trop empli du monde magique que j’avais découvert pour me poser des questions sur tout ça.

Apparemment, Tom avait tout ce qu’il lui fallait, toutes les fournitures qui étaient écrites sur la petite liste qu’il sortait avant d’entrer dans chaque boutique. Le Chemin de Traverse se vidait peu-à-peu et le soleil qui était revenu dans l’après-midi descendait déjà à l’horizon.

Tom Jedusor est entré dans une dernière boutique dont il est ressorti avec un grand hibou marron foncé emprisonné dans une cage. Le hibou était imposant et allait bien avec son nouveau propriétaire.

Le garçon a remonté le Chemin de Traverse pour arriver dans un bar miteux et sale qui s’appelait « La tête de sanglier ». Il a salué le barman qui essuyait des verres sur son comptoir, puis il est ressorti de l’autre côté du bar pour se retrouver dans une rue qui ne possédait plus la magie du Chemin de Traverse. De toute évidence, cette rue appartenait aux moldus, les gens qui n’ont pas de pouvoirs magiques d’après ce que j’avais pu entendre.

Tom a marché le long des rues, toutes plus vides les unes des autres au fur-et-à-mesure que le soleil se couchait. De toute la journée, il n’avait parlé qu’aux vendeurs mais il paraissait aimer la solitude dans laquelle il vivait.

Enfin, il est arrivé, lui, tous les sacs qu’il portait et moi, devant un grand bâtiment imposant, haut et gris, entouré de hautes grilles. De grandes lettres dégoulinantes de la pluie qui était tombée toute la matinée indiquaient « Wool’s orphelinat » sur les grilles qui entouraient le domaine très peu accueillant où, apparemment, vivait mon nouveau propriétaire.

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