Chapitre 41 - Vérité

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Tirons notre courage de notre désespoir même.

Sénèque

***

Je rouvre les yeux en percevant un bruit sourd, et comprends par la même occasion que je me suis évanouie. L'espace d'un instant, tout est flou et je demeure figée, le corps contre le sol froid. Puis tout me revient d'un bloc et je me redresse lentement, crachant une gerbe de sang sur le côté. J'effleure de ma main valide mes côtes, et suis persuadée d'en avoir une ou deux de cassées. Mon autre main reste pressée contre ma poitrine, la plaie cautérisée me lançant atrocement. Je mets du temps avant d'entendre les premiers gémissements. Ma vision est trouble, mais je parviens à me traîner en direction du premier corps. Asbjörn.

Le flanc éventré par une barre de fer, les yeux rougeoyant d'une énième lueur de vie, il contemple les ténèbres prêtes à le prendre. Quelques mètres plus loin, j'aperçois Wanda ramper jusqu'à moi, le front plissé par la douleur. Sa jambe droite, tournée en un angle étrange, y est très certainement pour beaucoup. Lorsqu'elle arrive à ma hauteur, je constate que son attention n'est pas tournée vers moi. Elle me le confirme en plongeant subitement un poignard dans le ventre de Justice. Un soubresaut agite le corps du mourant, sans qu'il réagisse vraiment. L'action de Mort est juste assez violente pour bouger le cadavre de quelques centimètres.

-        Crève, ordure. Crève.

-        Mort... commencé-je d'une voix que je ne reconnais pas. Il est déjà mort.

-        Non, non... il n'est pas... il doit mourir. Il doit mourir.

Elle répète ces mots en enfonçant sa lame dans l'estomac dorénavant visible d'Asbjörn. Je l'observe faire, mon moignon toujours pressé contre moi. Puis sa tête se relève et me percute avec force. Car au fond de ses prunelles un fantôme pâle me pourchasse pour me témoigner sa détresse. Et sa terreur.

-        J'ai vu la Mort, m'annonce Wanda d'une voix chevrotante, les yeux écarquillés. J'ai vu... et il n'y a rien. Plus rien derrière. Plus rien... Plus rien...

Elle balbutie encore quelques mots avant de s'en retourner à sa tâche première, qui revient à déchiqueter un cadavre. Déconcertée par le ton alarmé de l'Africaine, je m'attarde un temps à ses côtés. Puis mon regard s'envole vers le reste de la pièce et je me fige en constatant combien tout à changer. La sphère que j'ai effleurée tout à l'heure n'est plus. À la place, la structure bipède de Folie n'est plus qu'un ramassis sans vie de métal. L'explosion nous a projetés en un semblant d'arc de cercle, et je finis par remarquer deux corps plus loin. Zeq et Sasha. Ils restent immobiles. Longtemps. Trop, certainement.

En grimaçant, je me lève et parviens à tenir sur mes pieds après deux minutes d'intenses balancements. J'abandonne Mort et ses envies meurtrières pour un Viking déjà décédé pour m'avancer en direction des deux hommes. J'atteins Famine en premier. Constatant qu'il est encore en vie, mon regard se perd sur l'épée de Guerre, à quelques mètres de là. Puis je reviens sur lui, remarque son triste état et laisse échapper un rire bref. Un peu hystérique. Un peu détruit. Exactement comme Sasha.

Si sur la face gauche de sa figure subsiste un sourire amusé, mettant en avant son regard franc et sa peau claire, la face droite a bien plus dégusté. De la moitié de sa bouche jusqu'à l'endroit où se trouvait son oreille droite, sa peau n'est plus. À la place, un enchevêtrement de muscles à vif offre un tout autre spectacle. Macabre, de toute évidence.

-        Tu devrais voir ta tête, Famine...

Ses mâchoires s'articulent brusquement, alors que, les yeux grands ouverts, son attention demeure figée sur un point que je ne parviens pas à trouver. Je me penche vers lui sans me méfier, sachant d'avance que son état ne lui permet aucune folie. Et sa voix brisée, démolie, résonne, s'échappe de ses cordes vocales abîmées et réussit à s'extraire de ses lèvres à jamais écartelées.

Si la Terre s'effondre - Tome 1 L'Antéchrist SanctifiéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant