| 2 | sur la corde désaccordée

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𝐦𝐨𝐧𝐚

New York, 1938

L'absurdité́ du monde ? Ce n'est pas le monde qui est absurde mais les hommes qui y vivent. J'aime croire que quelque part, il existe un monde. Un monde presque parfait, un monde où le bonheur prend tout son sens, un monde où la pauvreté, les guerres, la discrimination et l'injustice ne sont que des cauchemars, des sources de menaces que les adultes utiliseront contre les enfants. Des légendes urbaines. J'aime croire que dans ce monde, tous sont égaux, que dans ce monde le genre, la couleur, l'origine et le physique des gens ne les rendent ni supérieurs ni inférieurs aux autres. J'aime penser que ce monde pourrait changer.
J'aime me nourrir d'espoir et d'illusions, mais lorsque je revois le monde autour, je me rends compte que le changement y est impossible.

Peut-être que pour vous une fleur n'a pas de raison d'être, pour moi elle n'a pas de raison d'être cueillie. Quelle cruauté́ absurde. Elles naissent, elles meurent. Finalement l'essentiel c'est qu'elles vivent. Envoutantes et parfaites, Ne sont-elles destinées qu'à être offertes à̀ de belles femmes ? L'homme amenant la fleur est-il romantique ? C'est ce qu'elles disent... toutes.

Pourtant il en est tout autrement. Un soir alors que l'homme promène son chien, dans la boue et dans la crasse, une rose apparait. Coincée entre deux marguerites, elle sait se faire remarquer. Trempée d'urine et arrosée de boue, l'homme la cueille. Les fleurs ne sont qu'une monnaie d'échange dont seuls les hommes bénéficient. Facilement trouvables et gratuites, ces fleurs cueillent sans un bruit, le cœur des jolies filles. Je déteste les fleurs par-dessus tout. Je pense que c'est parce que je n'en ai jamais reçu. J'aimerais bien en cueillir une fois, accompagnée d'un garçon qui m'aimera pour de vrai. Je suivrais habilement tous les petits chemins tracés à travers la ville. Je ferais attention à̀ ne pas marcher dans l'herbe, non destinée à̀ cet usage ; à ne pas manquer de me déplacer sur un trottoir lorsqu'il y en avait un. Je m'arrêterais au feu rouge, et jetterais subrepticement un regard à gauche et à droite de la route avant de traverser. Je respecterais les codes et rentrais dans les cases, comme il m'était demandée de faire. En bref, le petit toutou d'une société́ bien-pensante. Je n'étais ni belle, ni moche ; assez simple : brune, mince avec des yeux vert jade. Pas bête, pas maligne : juste comme il faut.

Je vous vois, bienfaiteurs écologistes, debout dans les rues, tendant des tonnes de papiers aux passants, ayant comme gros titre « stop à la déforestation ».
Vous êtes sûrement en train de vous dire que je n'aime pas la nature et que je veux cueillir toutes les fleurs du monde, mais non. Je ne suis pas comme ça.
Je vous vois, passants hypocrites, marchant à vive allure dans les rues de la ville, prenant les papiers des écologistes pour ne pas avoir à̀ ralentir votre course, jetant ces feuilles à terre ne sachant quoi en faire. Je vous vois, les adolescents un peu perdus. Assis sur vos bancs, des étoiles pleins les yeux, contemplant les déchets courant les rues. Rentrant chez vous en trainant du pied pour finalement écrire que l'homme n'est qu'une pourriture et qu'un simple spectateur du désastre qu'il produit. Mais dites-vous que toutes ces personnes ont commis des erreurs, sont des erreurs, j'en suis une aussi. Mais je sais aussi que les erreurs sont les composantes bases de l'évolution et qu'il faut en faire et en être pour faire avancer le monde.

Je ne suis personne parmi tous ces Hommes. Un mot, perdu au milieu de tant d'autres, composant un livre, un mot qu'on pourrait effacer, qui ne sert qu'à décorer. Je suis une tige d'herbe appartenant à une touffe d'herbe au milieu d'un énorme champ de magnifiques fleurs. Je suis une goutte d'eau appartenant à un magnifique océan bleu. Je ne suis rien.

Et pourtant, je sais que je suis essentielle, pourtant j'ai ma place dans ce monde, comme tant d'autres. Et depuis que je me suis permise de briser tous mes interdits, je pense que la confiance en moi est miraculeusement revenue. Je suis ce mot, ce mot qui, s'il venait à être effacer, la phrase perdrait tout son sens. Je suis cette tige d'herbe, qui détermine le port de la fleur, qui lui assure une fonction de soutien, de transport d'aliments, je suis nécessaire à la survie de cette fleur, car même si l'on ne me remarque pas, sans moi, personne ne pourrait admirer la fleur. Je suis cette goutte d'eau, une goutte d'eau parmi tant d'autres et tous ensemble nous composons ce bel océan. Je ne suis pas rien, je suis essentielle, même si je ne suis pas sous les feux des projecteurs. Ma vie compte. Comme celle de tous les autres.

Car un jour je pourrais devenir plus qu'un mot, plus qu'une tige d'herbe, plus qu'une goutte d'eau. Je deviendrai un chapitre entier, la fleur en elle-même, et le fleuve qui verse dans l'océan.

Un jour, et je garde espoir que vous aussi.

le chant du violonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant