Chapitre 1

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   Il faisait frais cette soirée là dans les rues de Gloria. Bien que les températures moyennes en Ignis fussent plutôt élevées, il s'avérait parfois que les veilles de tempêtes emportent la chaleur avec le soleil. Si ce temps contrariait la plupart des commerçants, il profitait bien à l'Ours Borgne, l'auberge du quartier. Beaucoup de dragons-garous, à la recherche de la chaleur manquante, venaient se réfugier à l'intérieur devant une bière et un bon repas chaud. Bien que rustique, la vieille bâtisse avait un certain charme qui ne manquait pas de toucher les habitants de Gloria, attaché à leur mode de vie simple. La vieille enseigne, dont la peinture s'était presque effacée, grinçait au rythme du fort vent qui amenait d'énormes nuages dont la couleur rappelait le charbon. Les derniers passants dans la rue se pressaient de rentrer chez eux et quelques rares retardataires poussaient la lourde porte de bois de l'auberge.

   En entrant, une bouffée de chaleur émanant de la cuisine et le bruit vous envahissaient, vous bousculaient pour un instant. Puis l'odeur parvenaient à vos narines. Une odeur d'auberge, mélange d'odeur de sueur, d'alcool, de ragoût et de bois brûlant. Une odeur qui pique les yeux dès lors que l'on y est pas habitué. Les derniers retardataires, après avoir signalé leur présence au vieil homme qui tenait l'endroit pour réclamer leur part du repas, s'assirent en plaisantant à grand voix. La salle débordait de vie et d'êtres vivants et resterait pleine jusque très tard dans la nuit. Des voyageurs, discrets pour la plupart voir intimidés par la présence des descendants des dragons, des travailleurs fatigués de leur journée, des enfants courants d'un bout à l'autre de la salle laissés à la surveillance générale par leurs parents affairés aux discussions en tous genres. Tous types de personnes de tous horizons se rassemblaient dans la bonne humeur.

Une dizaine de minutes plus tard, une jeune serveuse rayonnante apporta les plats commandés, naviguant habilement entre les tables et les mains baladeuses que certains hommes, un peu trop imbibés, ne manquaient pas de tendre. Aurora Cheliph, tel était le nom de la jeune femme à la chevelure flamboyante. Tous ici la connaissaient et rares étaient les clients qui ne l'appréciaient pas. Toujours souriante, elle inspirait la joie et le réconfort après une dure journée de travail. Accueillie par les gérants de l'établissement à ses 13 ans, elle les aidait régulièrement lorsqu'elle en avait l'occasion. Glissant gracieusement de table en table, remplissant choppes et auges, elle parvint à se glisser derrière le comptoir pour une courte pause. Elle fut presque aussitôt rejointe par l'aubergiste, un vieil homme filiforme dont les cornes avaient blanchies avec l'âge. Rodôn, ou Oumé comme Aurora aimait l'appeler affectueusement, se redressa pour caresser le haut du crâne de la jeune femme. Sa femme et lui n'ayant jamais eu d'enfants, la venue d'Aurora avait été pour eux un don du ciel. Depuis lors il portait à cette enfant un amour inconditionnel et la voir grandir et mûrir avait fait de lui l'homme le plus heureux bien qu'il ne la vit toujours que comme une enfant à choyer et protéger. Et c'est donc avec tout l'amour et la fierté du monde qu'il s'adressa à elle.
-<<Je ne sais vraiment pas ce que nous ferions sans toi ! Il y a tellement de monde ce soir.
-Moi je suis sure que vous y arriveriez sans moi, je ne fais pas grand chose après tout. >>répondit la serveuse avec un grand sourire. <<C'est le moins que je puisse faire pour vous aider et puis ça me fait plaisir.>>
Le vieil homme soupira dans un sourire.
-<<Tu es bien trop bonne avec de vieux débris comme nous. Surtout ne te surmènes pas, tu n'es pas obligée de te forcer à travailler autant tu pourrais très bien ...>>
Rodôn n'eut pas le temps de finir sa phrase que déjà Aurora secouait la tête.
-<<Je ne veux rien entendre de plus. Je t'ai déjà dit des dizaines et des dizaines de fois que je faisais ça parce que je le voulais et que je ne me force absolument pas. Je suis vraiment heureuse de pouvoir vous aider. Arrêtes de penser que je suis toujours une enfant. J'ai grandi et je peux très bien vous aider sans tomber de fatigue.>>
Elle prit tendrement la main de son Oumé et la serra dans les siennes. Puis elle reprit son plateau et retourna en salle sans laisser le temps à son grand père adoptif de lui répondre.

   Pendant cette courte discussion, l'atmosphère de la salle semblait avoir légèrement changée. Si la bonne humeur restait en place, les enfants et leurs parents avaient quittés les lieux pour la plupart et certains clients étaient partis se coucher dans leurs chambres à l'étage. Il restait cependant beaucoup de clients en demande d'alcool. Accoudé au bar, un habitué ayant trop consommé pleurait à nouveau la perte de sa femme deux ans auparavant et noyait sa peine plus que de raison. D'autres au contraire plaisantaient de plus en plus fort au point de déranger ceux qui commençaient à cuver sur leurs tables. Si la plupart se contentaient de grommeler dans leur coin, deux d'entre eux élevèrent la voix pour un peu de calme. Aucun ne fut entendu par le groupe trop occupé à boire de plus belle. L'un des deux abandonna et finit par sortir de l'auberge pour rentrer dormir chez lui. En revanche, l'autre râleur ne semblait en avoir fini avec ces énergumènes. Il se leva et traversa la salle avant d'abattre sa main à plat sur la table, hurlant au groupe de la fermer. Le groupe se tut, ainsi que toute la salle. Le courageux intervenant attirait toute l'attention.

Le groupe, interrompu dans leur discussion, abhorra une expression contrarié. Un d'entre eux se leva, faisant face à l'intrus. L'air devint électrique et des mots crus commencèrent à voler d'un bout à l'autre de la pièce. Sortant en trombe de la cuisine, Aurora se glissa jusqu'à la table et entreprit de calmer les clients. Cependant l'alcool semblait les avoir rendu sourds à toutes autres sources d'informations que l'objet de leur colère et les mots devinrent emprunts de colère pendant que les poings se serraient. La jeune rousse ne parvenant pas à les raisonner, elle finit par hausser la voix.
-<<Arrêtez de vous battre ou j'appelle Ouma !>>
La simple mention de ce nom suffit à calmer les bagarreurs et les dissuader de se battre. Tout le monde craignait la patronne et si personne ne l'appelait Ouma excepté sa petite fille, tout le monde connaissait ce surnom et apprenait très vite à le craindre. Si Rodôn inspirait de la sympathie, sa chère épouse inspirait le respect au premier regard. Elle était bien connu pour sa capacité à pouvoir séparer deux bonhommes seule et personne ne se relevait indemne d'une claque distribuée par sa main. Elle savait faire régner l'ordre.

Le groupe turbulent, calmé, décida de prendre la porte et petit à petit l'auberge commença à se vider. Aurora, rassurée que la menace se soit dissipée, débarrassa les tables vides, passa en cuisine prévenir ses grands parents puis monta se coucher dans sa chambre, épuisée de sa soirée. Enlevant ses vêtements, elle admira quelques minutes son pendentif. Un dernier souvenir de sa famille biologique. Elle le déposa sur sa commode et se glissa sous les draps. Elle devait dormir, le lendemain serrait une grosse journée elle le savait.

Quand vient l'auroreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant