Chapitre 4

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   Penchée sur les cadavres de moutons dont l'odeur commençait à devenir insupportable, Aurora examinait avec attention les blessures apparentes. Elle avait été attribuée à cette tâche car Miek, végétarien, supportait très mal la vue d'une telle boucherie. Les pauvres animaux étaient dans un sale état. Le prédateur n'en avait mangé qu'une partie et les bêtes avaient du mourir de l'hémorragie. Il manquait d'énormes pans de chair des flancs et des cuisses. Il manquait aussi le foie et le coeur, des parties riches en sang et nutritives mais qu'un prédateur lambda ne prenait pas la peine de sélectionner particulièrement. La créature qui s'était nourrie semblait non seulement puissante vu la taille des crocs mais aussi intelligente. Elle avait choisi ses pièces de viande. Aurora se releva, fronçant les sourcils, et rejoignit Miek.

Devant le visage concentré de celle qu'il considérait maintenant comme une amie, si tant est que ce sentiment soit réciproque, le selph interrogea la dragonne.
-<<Alors ça donne quoi ?
-Ils sont morts d'hémorragie, les entrailles arrachées. La bête qui a fait ça est à la fois très intelligente et très musclée.>>
Aurora plongea ses yeux flamboyants dans ceux pourpres de Miek.
-<<Ca risque d'être plus dangereux que des simples loups, tu es sur de vouloir venir avec moi ?
-C'est pas comme ça que tu vas te débarrasser de moi ma jolie. J'ai dit que je t'aiderai alors je te collerai aux basques jusqu'au bout. Et puis, je n'ose pas imaginer ce que me ferait tes parents s'ils apprenaient que je t'avais laissé tombée.>>
Sa dernière remarque et son ton malicieux firent rire Aurora. Elle ne l'aurait pas admis mais elle était contente que Miek ne l'abandonne pas. Elle pensait toujours pouvoir régler l'affaire seule mais la compagnie du jeune homme lui était devenue appréciable et elle aurait été déçue qu'il renonce à continuer.
-<<Allons-y alors.>>
Et elle entraîna le selph à sa suite vers les rares traces de pattes qu'elle avait vu près de l'abreuvoir, joyeuse malgré la dure besogne qui les attendait.

   Là où la terre était plus meuble suite à de nombreux arrosages successifs, la bête avait laissé deux empreintes profondes. À la simple vue de celles-ci, les deux chasseurs purent sans mal déduire que l'animal ne pouvait être un loup, à moins d'être un warg, et devait sûrement être un ours particulièrement inquiétant. Le seul détail qui perturbait Aurora était la forme des griffes et de la mâchoire qui ne correspondait pas vraiment à celles d'un ours et encore moins d'un loup. La mâchoire semblait trop large et les griffes ressemblaient plus à celles rétractables d'un félin. Inconsciemment elle porta sa main à sa joue gauche, un peu anxieuse, ce qui n'échappa pas à Miek qui garda le silence. Les empreintes étaient dirigées vers la forêt aussi ils décidèrent de s'y engager.

Cela faisait déjà une heure qu'ils fouillaient la forêt sans résultats probants. Quelques branches cassées ou herbes froissées tout au plus mais rien qui n'indiquait le chemin suivit par la bête. Pas une touffe de poils, pas une écaille, pas de griffure, pas une marque de territoire. Elle s'était comme volatilisée. L'humeur d'Aurora s'était dégradée à mesure que le temps passait. Ne rien trouver la frustrait, elle n'avait pas l'habitude qu'une proie lui échappe et encore moins que celle ci ne laisse pas de trace. Elle restait sur sa faim, incapable d'avancer sans indice. La seule issue possible si elle ne trouvait rien, c'était que la créature pouvait voler. Mais il n'y avait pas grand chose avec des ailes et des dents par ici aussi elle rejetait cette idée. Miek ne l'aidait pas plus malgré toute sa bonne volonté. Il retournait chaque buisson, chaque feuille pour au final ne rien trouver de plus. Leur battue les emmena jusqu'au pied d'une petite montagne. Le soleil brillait presque à son zénith et Miek, peu habitué à tout cet exercice, proposa de rentrer pour déjeuner, arguant que l'animal n'irait pas bien loin. Aurora, ronchonne, céda pour le moment mais se promit de revenir grimper la falaise dès le repas fini.

C'est suivi d'un Miek grognon que la dragonne-garou toucha de nouveau le pied de la falaise. Son instinct lui soufflait que quelque chose se trouvait là et il se trompait rarement. Elle commença alors à grimper et, entendant Miek geindre, elle le menaça gentiment de l'abandonner ici et de s'envoler pour continuer sans lui. Il se mit alors à grimper à sa suite, grommelant un charabia que seul lui comprenait. À ce qui semblait être le quart de l'ascension, un petit plateau offrit un refuge aux deux grimpeurs qui s'y arrêtèrent. Alors que Miek s'allongeait à même le sol, Aurora explora le recoin et trouva bien vite un indice tant espéré. Des tâches de sang brunies par le temps et des griffures sur la roche, signes de passages fréquents. Elle retourna alors voir son ami pour lui faire part de sa découverte et partager avec lui son espoir fraîchement renouvelé. Ainsi remotivés, ils reprirent leur effort et entreprirent de se rapprocher du sommet.

Aux trois quarts de leur ascension, une nouvelle discontinuité leur offrit une accalmie. Le plateau qui s'étendait devant eux était bien plus grand que le précédent et une grotte s'ouvrait sur le flanc de la falaise. Des multiples traces de griffes et des petites touffes de poils blondes jonchaient le sol, signes d'une présence récente. L'ouverture semblait mener à la tanière du monstre qui terrorisaient les villageois du coin. Après avoir prit le temps de se remettre de leur montée, les deux chasseurs s'assurèrent que leur équipement de combat était prêt. Ils n'avaient toujours aucune idée de ce qui pouvait les attendre dans la grotte et devaient être prêts à tout. Sur un signe de tête pour exprimer leur accord mutuel, ils entrèrent silencieusement dans la caverne.

Le soleil étant proche de l'horizon, la grotte était très sombre et les deux aventuriers devaient prendre garde à l'endroit où ils posaient leurs pieds. L'épaisse humidité portait une lourde odeur de renfermé, de fauve et surtout de cadavre pourrissant. En approchant du fond de la grotte ils purent distinguer ce qui ressemblait à un nid, vide d'animal, ainsi qu'une pile d'ossements plus ou moins bien rongés, attirant un essaim noir de mouches. Aurora, dont les yeux reptiliens s'étaient habitués à l'obscurité, s'approcha prudemment du nid. Si à première vue il semblait vide, au centre trônait cependant un cadavre encore tiède. Ce qui ressemblait à un lionceau était étendu au centre, égorgé. Aurora se releva et s'écarta, horrifiée d'un acte si cruel. La créature était une mère qui devait nourrir son petit. Et quelqu'un venait de le tuer. Une voix s'éleva alors, résonnant dans l'écho de la grotte.
-<<Tu arrives toujours trop tard laideron, j'ai déjà réglé le problème moi.>>

Aurora reconnu la voix sans même se retourner. Emiliana. Elle se tenait fière et droite, comme si elle avait accompli un exploit digne d'être vanté pendant des centaines d'années, toujours accompagnée de son harem d'attardés.
-<<J'ai tué le monstre moi et toi tu n'as rien fait du tout. J'ai toujours eu une longueur d'avance sur toi, tu devrais vraiment songer à arrêter parce que franchement ...>>
Aurora la laissa se perdre dans ses délires, songeant qu'elle devrait vraiment apprendre à ne pas ouvrir sa bouche pour ne rien dire. Miek, qui était resté à ses côtés, regarda tour à tour la cruche et sa partenaire. Lui aussi avait bien compris la situation. Emiliana avait fait tuer le petit par un de ses larbins et s'attribuait le mérite, sans savoir qu'elle avait provoqué la colère d'un être puissant qui ne manquerait pas de vouloir venger sa progéniture. Il posa sa main sur la poignée de son épée, prêt à agir au besoin. Aurora quand à elle entreprit de faire taire la pipelette.
-<<Tu n'as pas tué le monstre, tu as tué un bébé qui n'avait même pas de crocs assez solides pour te percer ta peau de serpent. Et par la même occasion tu vas provoquer la colère de sa mère.
-N'importe quoi, comme si tu y connaissais quelque chose, une débutante comme toi ne me surpassera jamais surtout que je ...>>
Et alors que la vipère s'étendait à nouveau sur ses soi-disant talents, un grognement soudain résonna dans la caverne. Ce n'était pas un grognement d'ours, et encore moins celui d'un loup. C'était un grognement d'une bête encore plus grande. Et elle semblait être dans une rage encore plus profonde que ce qu'ils avaient imaginé.

Quand vient l'auroreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant