IX- La propsition

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Regina soutint le regard de sa mère un instant, mais les larmes commencèrent à brouiller sa vision, rendant flou ce visage qu'elle connaissait trop bien. Le cœur lourd, elle finit par détourner les yeux, chaque pas en direction de la scène lui semblant un effort insurmontable. Puis, dans un élan de panique et de désespoir, elle tourna brusquement le dos et se mit à courir, fuyant la confrontation, la douleur, et les mots terribles qui résonnaient encore dans sa tête.

À peine arrivée sur scène, elle balbutia quelques excuses pour son retard, mais sa voix tremblait. Le jury, courtois, lui répondit avec bienveillance, lui assurant qu'il n'y avait aucun mal. Regina força un sourire, bien loin de la légèreté qu'elle aurait voulu ressentir en cet instant. D'un geste hésitant, elle posa son micro, essayant de retrouver son souffle, et fit craquer ses orteils contre le sol en bois, une habitude qui autrefois la rassurait, mais qui cette fois ne parvint pas à calmer la tempête d'émotions en elle. Elle leva les yeux un instant vers les coulisses, espérant y trouver un soutien quelconque, un visage familier pour l'encourager. Mais au lieu de cela, elle croisa le regard de sa mère, figée dans une expression de déception si palpable qu'elle en sentit son cœur se contracter violemment. Cora n'avait pas bougé, son regard était empreint de reproches, et cette vision frappa Regina en plein thorax, comme un coup douloureux et implacable. Un sanglot menaça de s'échapper, mais elle l'étouffa, baissant rapidement les yeux pour échapper à cette douleur incommensurable. Elle ferma les paupières une seconde, prit une profonde inspiration, et tourna son regard vers les musiciens. Sans un mot, elle leur fit signe de commencer.

Les premières notes résonnèrent dans la salle, légères, presque éthérées, et Regina resta un moment figée, les yeux mi-clos, absorbée par la mélodie qui envahissait l'espace. Puis, au moment où le rythme s'accéléra, son corps répondit instinctivement. Elle se déhanchait avec une fluidité naturelle, chaque mouvement devenant une extension de ses émotions les plus profondes. Chaque pas qu'elle exécutait sur la piste semblait plus maîtrisé, plus gracieux, comme si elle défiait les lois de la gravité à chaque instant. Ses figures étaient d'une précision presque irréelle, captivant chaque regard dans la salle. Regina ne dansait plus pour impressionner le jury ou prouver quoi que ce soit. Elle dansait pour elle, pour se libérer de la peine qui lui pesait. Les regards sur elle n'existaient plus ; elle était seule avec la musique et sa douleur. À mesure que ses pieds glissaient sur le sol, une scène familière se formait autour d'elle, celle de la salle de danse de son enfance. Les murs de l'auditorium s'effaçaient, remplacés par des souvenirs.

Elle se revoyait enfant, dansant pieds nus sur ce même parquet, sous le regard bienveillant de sa tante. Ses sourires complices, leurs discussions animées sur l'amour qu'elles partageaient pour la danse, les nuits blanches à perfectionner des mouvements ou à rêver ensemble de l'avenir... Tout cela semblait si proche et pourtant si lointain à la fois. Regina se demandait si, de là où elle était, sa tante la regardait. Était-elle fière d'elle ? Ou n'avait-elle fait que décevoir tous ceux qu'elle aimait ? La douleur se ravivait à chaque souvenir, mais elle se nourrissait de cette peine pour en faire quelque chose de beau. Elle exécutait ses figures avec plus d'intensité, comme si chaque pas, chaque pirouette, était une conversation silencieuse avec sa tante, une manière de lui dire qu'elle n'avait pas abandonné, qu'elle continuait à porter leur flambeau.

Mais Regina ne parvient plus à chasser les mots de sa mère de son esprit. Ils résonnaient avec une force presque insupportable, s'entremêlant avec la mélodie. Les larmes, déjà proches, revinrent en force, brouillant sa vision. Elle tenta malgré tout de continuer, de se concentrer sur la danse, mais la douleur émotionnelle se faisait trop présente. Un instant d'inattention, et elle manqua un pas crucial. Son pied glissa maladroitement, son corps basculant dans le vide. Le choc fut brutal. Elle s'effondra lourdement sur le sol, sa cheville heurtant le bois avec un craquement sinistre. Le monde sembla s'arrêter. La douleur irradiait depuis sa cheville, mais elle ne parvenait pas à détacher ses pensées de ces mots, de cette colère qu'elle avait vu dans les yeux de sa mère. Ses larmes, inarrêtables, coulaient silencieusement sur ses joues, même alors que tout autour d'elle devenait flou. Elle se recroquevilla sur elle-même, ses mains agrippant sa cheville dans un geste désespéré, essayant de bouger son pied sans succès. Chaque tentative n'apportait que davantage de douleur, ses gémissements brisant le silence qui s'était soudain installé dans la salle. Sa détresse était palpable, et pourtant, même dans cette souffrance, une partie d'elle se battait encore, incapable d'accepter l'idée que tout puisse s'effondrer ainsi.

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