Chapitre 4.0

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Une longue et fine trainée de poussière s'échappait dans un rayon de lumière filtrant à travers la grande vitre aux rideaux rouges. Ceux-ci dessinaient une ouverture assez large pour que la lumière du jour y passe. Sous l'ombre encore endormie que jetaient les meubles sur les hauts plafonds blancs, la lueur ocre et poudrée de l'odeur des jardins venaient chatouiller les couvertures rose pâle sur les dessus de lit.
Une agréable ribambelle de douces saveurs matinales s'échappait du lever du soleil et venaient caresser les baldaquins du grand lit et rafraichir la chambre après les troubles et médisances de la nuit. Le souffle tiède du mois d'avril, lourd et imprégné des parfums des arbres verts et élégants, de la terre mouillée de rosée et des humidités bienfaisantes des jardins, parcouraient la chambre entière. 

La douce et fine chaleur du matin suffirent pour tirer Iseult de son sommeil vers la réalité d'un jour nouveau où toutes pensées mortelles de la veille s'étaient dissipées. Elle entrouvrit les yeux, redressa son bras nu écrasé sous les oreillers pour s'étirer et cligna ses paupières, réalisant avec délice qu'elle s'était bien réveillée.
Autour d'elle s'était dissipé la noirceur, et les murs jetaient leur clarté à la lumière du jour. Les rideaux rouges des fenêtres remuaient lentement, bercés par l'air léger qui pénétrait de la porte légèrement entre-ouverte qu'Esther avait surement oublié de refermer à cinq heures. 

La jeune fille se dégagea des draps blancs et des couettes épaisses pour se laisser glisser au sol. Lorsqu'elle se leva et s'approcha de la fenêtre, elle fut surprise de ressentir ces vertiges parcourant tout son corps qui rappelaient les festivités de la veille.

— Je n'ai pourtant pas si bu ni danser que ça, se dit-elle en secouant la tête.

En ouvrant les battants de la large porte fenêtre, une vague d'air frais s'engouffra à l'intérieur de la pièce. S'avançant sur le balcon, la brise qui soufflait doucement lui remuait les cheveux et les pans de sa robe de nuit aux dentelles blanches. Les rideaux rouges dansaient avec vivacité et légèreté entrainés dans une valse saccadée et joyeuse. 

Cette volée d'air et de souffle suffit pour Iseult à retrouver ses esprits. Elle songea à la soirée d'hier qui lui paraissait maintenant bien loin et si irréelle. A ses yeux tout avait disparu, la nuit avait suffi pour éliminer les sensations folles et les émotions grandioses où fantasques qu'elle avait vécues.
Cependant encore bien clair, net et précis, restaient d'étranges souvenirs. Ashley, son père aux grandes idées, la connaissance d'Alix et les avances du beau prince Lucas qu'elle avait reçues secrètement avec respect et appréciation. Il l'avait frappée tant dans ses manières que dans ses paroles dont la portée lui échappait encore mais qui l'avait certainement atteinte au plus profond d'elle-même. Il l'avait secouée parce qu'elle avait vu si clairement qu'il n'était pas comme les autres jeunes hommes. Quelque chose de bien singulier le différenciait, la jeune fille avait vu en lui tant de sincérité. Le reverrait-elle un jour ? Et pourtant, elle ne savait rien de lui, encore moins que lui-même devait la connaitre. Iseult nourrissait en sa mémoire tant de sentiments différents et contradictoires qu'elle ne savait que penser.
Alix lui paraissait tout à fait charmante et amicale mais pourtant si solitaire, au point que cela lui faisait mal de pouvoir la sentir malheureuse. Amy et Adams semblaient s'aimer mais pouvaient-ils être heureux ensemble dans une vie qu'ils partageraient l'un avec l'autre ? Que deviendraient ses préjugés à l'égard d'Ashley ? Des idées politiques de son père, le pouvoir d'Hernandez, le gouvernement de Galicia, de Castille, de l'Espagne toute entière ? En somme, que deviendrait le monde ? 

La jeune fille secoua la tête accablée devant cette vague si intense et tortueuse de telles interrogations aussi futiles pour l'instant présent. Qu'était le monde à ses yeux pour qu'elle s'en soucie ainsi ? Elle n'était que princesse pour comprendre la politique de gouvernement, femme pour comprendre les hommes, jeune pour comprendre Amy dans l'engagement du mariage, entourée pour comprendre à quel point la solitude d'Alix pouvait être si mortelle.

Les bâtisseurs d'empires (réécriture intégrale)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant