Sweetlove Harley

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    Tout le monde aime la rosée du matin, lorsqu'en été l'humidité s'amène, après une douce et chaleureuse nuit. Ces matinées rares, accompagnées d'une odeur de fraîcheur, de caresses attendrissantes et d'un bonheur enfantin, font frémir chaque homme et chaque femme. Le temps d'un instant, d'un regard encore endormi, la liberté gagne le cœur de chaque personne témoin de ce spectacle offert par mère nature. 
    Cette soudaine et puissante envie d'évasion, qui nourrit l'âme d'enfant qui sommeille en chacun, voici ce qu'évoque Harley. Pour ses proches, elle incarne ces matinées : aimante, encourageante et douce. Chaque personne consciente des bienfaits de sa présence dressera son portrait de cette manière, puisqu'elle apparaît telle une bénédiction.
    C'est indéniable.

    Pourtant, Harley se retrouve à nouveau seule, réfugiée dans un coin de la bibliothèque. Plongée dans le livre qu'elle serre entre ses deux mains, le monde semble s'être mis sur pause pour qu'elle puisse se cacher dans sa bulle. Malgré son aspect sociable et timide, elle se montre plutôt réservée quand elle arrive à se retrouver seule. Ce peu de moments où elle n'est en compagnie que d'elle-même révèle son véritable état d'esprit, mélancolique derrière son air calme.
    Elle ne sait pas si elle a besoin de compagnie, ou si elle veut rester seule. Après tout, si les gens la pensent heureuse, cela doit être vrai. Du moins, elle s'en convainc pour refouler sa souffrance, même si elle ne la prend pas vraiment au sérieux. L'autrui obtient sa priorité en tout temps, donc si les autres ne s'intéressent pas à son mal-être, elle n'a aucun intérêt à le faire.

« Harley ! On savait que tu serais là, s'exclame un étudiant. Pourquoi tu es encore toute seule ?
– Désolée Louis. Je n'avais rien à faire, alors je suis venue lire..., explique-t-elle, lui montrant le livre à la manière d'une fautive.
– Candide ? Tu l'as déjà lu mille fois, viens avec nous au karaoké, soupire le garçon.
– Vous savez que j'aime beaucoup cette histoire..., justifie-t-elle.
– Et je sais aussi que tu adores venir faire la fête avec nous, allez viens », insiste Louis.
    Il est vrai que l'étudiante mettait beaucoup de vigueur à se faire entendre derrière un micro, ou avec un verre dans la main. Cependant, cela doit être lié au fait qu'en participant à ces activités, celle-ci garde l'espoir de pouvoir devenir candide le temps d'un instant, de ne se soucier de rien à la manière d'un enfant, et d'être heureuse. Elle a compris ça lors de sa première lecture, lorsque les pages de ce livre étaient encore neuves. Elle admire le protagoniste pour une chose : son innocence naïve qui lui permet de rester joyeux, et ce malgré tout.
« Harley ? questionne un autre étudiant, qui provient apparemment du même groupe.
– Je..., commence-t-elle.
– Allez, laisse ce silence pesant et cette odeur de vieux bouquins dans leur coin, et viens t'amuser, quémande ce dernier.
– D'accord Hugo, je viens », accepte-t-elle d'un sourire timide.

    Ces deux garçons sont amis avec Harley depuis des années maintenant. Ils adorent sa compagnie, donc ils viennent souvent la supplier de les accompagner, et elle finit toujours par accepter, même contre son gré. En arrivant sur le lieu de festivités, elle se demande si l'envie est présente pour cette fois, sans réellement en obtenir une réponse.
    La pièce ne change pas au fur et à mesure des visites, toujours la même table, trop basse, les mêmes canapés affaissés et ces coussins minables qui jonchent ce dernier sans réel goût. Quiconque rentre dans cette pièce pour la première fois se rend rapidement compte du milieu social des gérants, et de la clientèle.
    Le projecteur n'a pas été remplacé, ni réparé, ce qui donne une image de piètre qualité, sur un vieux rideau déchiré. Le groupe s'est habitué à cette grossièreté, au sentiment d'oppression qui s'en dégage et surtout à son alcool au prix plus qu'abordable, qui se trouve être la principale raison de leur venue. D'ailleurs, Louis n'attend pas que les autres s'asseyent pour en commander.
« Chef, on prendra 4 bières, et...
– Un mojito pour la demoiselle ? sourit le propriétaire, formé à cette bande.
– Exact ! » confirme Louis, enthousiaste.

    Pour Harley, impossible de commencer l'activité sans son premier verre, qu'elle siphonne avant même qu'il touche la table. Le citron serré entre les dents, celle-ci en commande un deuxième d'un geste de la main, avant de sourire à ses camarades, signe qu'elle est prête à s'amuser. Elle s'avance alors sur la scénette bancale et attrape le micro énergiquement.
« Envoie ma musique Louis ! lance-t-elle, déterminée.
– Tout de suite princesse ! » 
    La musique se lance et les battements de la basse résonnent dans la pièce. Harley sent son cœur forcer sur sa poitrine et s'accélérer à chaque pulsation, le stress lui attrape la gorge et crispe son sourire. La mélodie se lance et l'étudiante avale pour la dernière fois sa salive.
« Les yeux qui brillent, la conscience qui s'éteint, commence-t-elle avec la voix vacillante. Cerveau troué comme ma paire de Vans...
– Harley, Harley, Harley ! » s'excitent les deux amis, pour l'aider à leur manière.
    À leurs yeux, l'étudiante possède une voix et une prestance unique lorsqu'elle chante cette chanson, ou d'autres du même style. Ils ont réellement l'impression qu'elle ressent les paroles et ses prestations s'en montrent émouvantes. De plus, au vu de son manque écrasant de talent sur des musiques plus joyeuses, ils ne peuvent pas lui refuser de chanter si tristement.
    Au contraire, ils adorent ça.

    Lorsqu'Harley prononce les dernières paroles, et que la mélodie se stoppe, l'ambiance semble moins mélancolique qu'escomptée. Ce qui est sûrement dû aux deux pitres qui lui servent d'amis et qui n'ont pas laisser le blanc s'installer. Cependant, un détail retient l'attention de l'étudiante lorsqu'elle vient se rassoir.
« Dites, pourquoi 4 bières ? Ce n'est pas dans vos habitudes de prévoir, taquine-t-elle.
– Ah oui, on a oublié de te le dire..., sourit Hugo.
– On a proposé à deux connaissances si elles voulaient venir s'amuser au karaoké, explique Louis. Elles ne devraient pas tarder d'ailleurs... »
    La chanteuse montre sa surprise et se demande qui ces deux-là sont partis chercher. Déjà qu'elle n'est pas tellement à l'aise avec ses amis, elle risque de se crisper devant des inconnus. Elle mise alors sur l'effet de l'alcool pour se montrer plus détendue, et trempe ses lèvres dans son deuxième mojito, décidée à le savourer. Mais il suffit que des coups résonnent pour que cette idée disparaisse de son esprit. 
    Louis se lève, encore plus motivé qu'il y a quelques minutes.
« On dirait qu'elles sont arrivées ! s'exclame-t-il en se rapprochant de la porte. Tiens-toi prête Harley ! » ajoute-t-il le temps d'un clin d'œil.
    L'étudiante comprend alors ce qu'il a cherché à faire en invitant ces personnes, et panique au point de s'étouffer avec sa boisson pendant que ses pommettes s'échauffent. Il faut toujours qu'il aie des idées farfelues, et surtout aucune gêne.

Grandes sont les fautesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant