L'atmosphère froide et humide marque un second contraste dans la soirée, malgré les lampadaires qui éclairent la ville de leur douce lumière. L'angoisse laisse Harley haleter face à sa course, puis s'arrêter lorsqu'elle se rend compte qu'elle ne trouvera pas Kathleen en s'agitant n'importe comment. À vrai dire, elle pense ne pas pouvoir la rattraper du tout, et préfère aller se cacher dans un de ses endroits préférés pour ne pas affronter ses amis.
La culpabilité de la demoiselle se renforce à chaque bruit de pas entre lesquels se distinguent ceux des gouttelettes de pluie. Heureusement, elle se sent de plus en plus soulagée en approchant ce fameux recoin. Une vue magnifique s'offre à ses yeux, comme à son habitude, tandis que la nature impose sa plénitude à la scène. Seulement, les sanglots effacés d'une silhouette viennent déranger cette harmonie.
L'habituelle inébranlable, assise sur le banc qu'Harley approche, avait trouvé refuge au même endroit. Seule Himiko l'avait déjà vue dans une telle situation, sa fragilité exposée et sa tristesse stimulée. La gaffeuse s'assoit avec hésitation, aux côtés de la triste Katie, sans dire un mot. Elle se contente de fixer l'horizon, comme à son habitude, laissant la chagrinée dans une sorte d'intimité. Le respect émane de la culpabilité, et sûrement de la peur d'Harley face à celle qu'elle a blessé sans le vouloir.« Comment tu m'as retrouvée ? demande l'agacée en s'essuyant les pommettes.
– Une coïncidence, je pense, sourit l'étudiante. Je venais pour évacuer mon angoisse, je ne pensais pas te trouver ici.
– Incroyable, s'exaspère Kathleen.
– Je suis désolée de t'avoir vexée, par ailleurs. Je ne pensais pas que ton homosexualité était un sujet sensible, je me suis juste réjouie sans faire attention, explique-t-elle, avec calme.
– Tu t'es réjouie ? s'étonne la colérique, fidèle à son surnom. Comment tu peux te réjouir de ça ? Je ne supporterai pas tes moqueries, je te préviens.
– Qu'est-ce qui pourrait justifier mes moqueries ? s'inquiète la princesse.
– Je suis attirée par des femmes, je ne serai jamais celle qui donnera des petits-enfants à mes parents, ni celle qui choisira un bel homme et fondera une belle famille comme tout le monde. Mon existence ne rime à rien si je ne suis pas capable de ça, l'homosexualité est un problème. Je suis un problème, s'énerve-t-elle, montrant clairement le dégoût qu'elle ressent envers elle-même.
– Alors je suis moi-même un problème, sourit la réservée. Pourtant, il y a de nombreux points positif à l'être, malgré ce que tu as évoqué, tu sais.
– Je m'en fiche, grogne-t-elle. Je veux rendre fiers mes parents, avoir un homme et des enfants, les voir grandir et me donner à leur tour des petits-enfants, mais je n'en suis pas capable. L'homme me dégoûte, je n'arrive pas à me forcer et je suis donc incapable de faire ce qu'on attend de moi.
– Je vais être honnête avec toi, je suis moi-même très attachée à ce que veulent les gens, commence la demoiselle.
– Ouais, j'ai vu ça, soupire la confessée.
– Comment ça ? Je veux dire, ça se voit tant que ça ? » s'étonne l'innocente.Kathleen se tait alors, pendant de longues secondes, plongeant son regard sur la mine candide de son interlocutrice. « Elle ne s'en rend pas compte ? » pense-t-elle. Grâce à la vidéo que Louis lui a montré, sur laquelle Harley chante en laissant sa tristesse s'exprimer, elle a tout de suite compris que la fille constamment joyeuse et aimante en laquelle on peint la demoiselle n'est qu'une image de façade. Ce qu'elle lui explique sans perdre de temps, oubliant son propre cas, choquée par tant d'aveuglement.
« Mais, ce sont justes des performances ! râle l'innocente. Je ne suis pas vraiment...
– Arrête. Tu n'as jamais été aussi sincère que dans cette "performance". Quand je t'ai vue faire la fille toute gentille et enthousiaste, j'ai directement su que c'était faux. Tu caches ta tristesse pour les gens, mais à force de ne pas être toi-même, tu ne fais que la renforcer, explique la tempétueuse.
– Tu n'es pas mieux à te détester pour ce qu'on attend de toi, lance Harley, vexée.
– C'est mon problème, bloque Kathleen. J'ai mes raisons, tu en as toi ? Parce-que pour le moment, je ne vois qu'une fille qui s'efface derrière un tableau qu'elle a créé de toute pièce.
– Je veux juste rendre heureux les gens, et je ne veux pas déranger, il y a quoi de mal ?
– Justement, ça. Tu n'as besoin de feindre d'être heureuse pour ça, t'as juste à l'être, affirme-t-elle avec mépris.
– J'ai voulu être heureuse, pleure la princesse. Mais ça n'a pas marché, alors je fais semblant et tout va mieux. Peu importe si je souffre dans mon coin, tant que tout va bien.
– Tu ne peux pas dire que tout va bien si l'héroïne de ta vie ne va pas bien, soupire Kathleen. O.K. J'aime les femmes, c'est un fait. J'aime les femmes sensibles, douces, fragiles, qui ont besoin d'attention et qui t'aiment énormément si tu prends soin d'elle. J'ai comme l'impression que tu es comme ça au fond de toi, et que tu détruis cette personnalité en voulant être forte ! »Harley se met alors à rougir, désemparée face à tant de vérité. Une inconnue lit dans son cœur comme dans un livre ouvert, ce qui a le don d'être déstabilisant. Kathleen a peint son portrait sans aucune difficulté, comme Hugo, même si lui ne l'a pas montré. Seulement, ce qui la perturbe le plus, c'est la manière dont l'impétueuse a peint son tableau. Katie a dit aimer la réelle Harley, certes indirectement, mais une chose aussi rare ne passe pas inaperçue. Pour la première fois, quelqu'un disait du bien de sa réelle personnalité, ce qui suffit à faire disjoncter sa pensée.
« M-Merci, bégaye l'innocente, toute contente.
– Merci ? demande la colérique.
– Tu as sûrement raison, mais je ne suis pas prête à l'idée d'essayer d'être moi-même, explique la demoiselle. Pas prête à prendre le risque, mais j'essayerai.
– Pourquoi ce changement de cap, tout à coup ? s'étonne l'habituelle agacée, dorénavant intriguée.
– Tu as dit aimer ce que je suis, c'est la première fois que...
– Stop. Ne te fais pas d'idées, rougit la tempétueuse. J'ai juste voulu te bouger, cela ne veut rien dire du tout. On ne se connaît pas, et tu connais très bien mon problème.
– Oui oui, ne t'en fais pas ! rassure l'innocente. Je ne me fais pas d'idées, mais j'apprécie quand même. »
Le sourire empli de gratitude qu'elle lui envoie vient adoucir Kathleen. Elle se sent bizarre depuis quelques secondes maintenant, et la douceur d'Harley vient ajouter sa goutte d'eau. Il faut croire qu'elle n'est, elle non plus, pas habituée à ce genre de contacts. La seule qui provoque ce genre de ressentiment se nomme Himiko, et voir une inconnue réussir à effleurer cette compétence la terrifie. Elle voit sa sexualité s'exprimer au fond d'elle-même et ne veut pas y croire, voire y penser. Pour elle, ce n'est qu'une illusion. Puis, même si cette fille se montre capable de l'émouvoir au fil des altercations, son mépris envers cet aspect d'elle-même la bloquera sûrement.
« Tout va bien ?
– Oui, répond Kathleen, pensive.
– Tu veux qu'on y retourne ? Ils nous attendent. »
Non ! La téméraire ne peut pas laisser ce moment se terminer ainsi. La réputation qu'elle s'est forgée se voit fragilisée par cet événement, puisqu'elle n'a pas confiance en la gaffeuse, qui pourrait très bien réitérer son erreur et compromettre son quotidien. De plus, d'un autre côté, elle se sent bien à ce moment-là, et ne veut pas qu'il se termine. Pour une fois qu'elle peut être elle-même sans craindre quoi que ce soit, du moins, tant que ce n'est pas terminé, elle veut en profiter.
« Attends, retient Katie, sur la retenue.
– Qu'y a-t-il ? interroge Harley, se rasseyant.
– Faisons une promesse. Tu ne dis rien de ce qu'il s'est passé ce soir, et de mon côté je ne dirai rien sur ta condition. S'il te plaît, quémande l'inquiète.
– D'accord, faisons-nous le serment, acquiesce la demoiselle en tendant son petit doigt. Moi, Sweetlove Harley de son vrai nom, ne partagerai en aucun cas les vérités énoncées ce soir.
– De même.
– Non ! Tu n'as pas récité le serment, boude Harley en empêchant la téméraire d'attraper son doigt. Fais-le correctement ! » insiste-t-elle avec sa moue.
Cet aspect de l'étudiante stimule en effet le cœur de la colérique, malgré ce qu'elle veut croire. Harley réussit l'exploit : Kathleen sourit sincèrement face à l'innocence de sa complice, et s'exécute.
« Moi, Oak-Peterson Kathleen de son vrai nom, fait le serment qu'aucune des paroles prononcées ce soir ne seront répétées.
– Je promets, jure-t-elles en chœur en se serrant les petits doigts.
– Dis, ça te dérange si on reste un peu ici ? J'aimerais profiter de l'atmosphère avant d'y retourner, avoue celle qui sourit rarement.
– D'accord, restons un peu. »Les deux complices fixent alors leur regard vers l'horizon caressé par la nuit, dans un silence qui laisse s'écouler la pluie. L'atmosphère semble aussi légère que leurs cœurs pendant ces longues minutes, l'odeur qui s'en dégage adoucit l'esprit et rappelle l'enfance, les souvenirs. Elles vivent très clairement un moment de plénitude, au point d'en oublier de décrocher leurs petits doigts, toujours enlacés l'un contre l'autre.
VOUS LISEZ
Grandes sont les fautes
RomanceOn dit que les fautes révèlent la sincérité d'une personne, quant elles ne sont pas volontaires. Pour les deux héroïnes, différentes et semblables selon ce à quoi on s'intéresse, ce diction se voit vérifié. Elles ont chacune leur problème à régler...