Refuge commun.

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    Depuis cette soirée-là, le calme règne dans la vie des deux jeunes femmes. Himiko et les deux garçons avaient continué à s'amuser autour du karaoké sans être rejoints par les complices. Elles avaient discuté pendant tellement de temps qu'elles s'étaient endormies peu avant le lever du soleil. Au réveil d'Harley, Kathleen avait déjà disparu sans l'attendre. 
    La demoiselle et la téméraire ne se sont pas revues en un peu plus de deux semaines, chacune trouvant, à chaque fois, une excuse pour éviter qu'elles se revoient. Une méthode que n'a pas manqué de relever le groupe d'amis à l'origine de tout ça. Au grand dépit de leur volonté, il semblerait que leur idée n'a pas provoqué le résultat escompté.
« Himiko ? rattrape Louis, profitant de la pause déjeuner pour agir.
– Qu'y a-t-il ? s'étonne-t-elle en le voyant s'asseoir.
– Harley n'est plus la même depuis ton anniversaire, je me demande ce qu'a bien pu lui faire Kath' ! explique-t-il.
– Comment ça "plus la même" ? 
– Disons qu'elle est moins joyeuse qu'à son habitude, elle doit être tracassée, mais elle ne veut rien me dire sur la soirée, soupire-t-il. Je m'inquiète.
– Pour tout te dire, Katie ne m'a rien dit non plus. Elle esquive le sujet à chaque fois alors que je suis la seule à qui elle se confie, avoue la joyeuse avec dépit.
– C'est bizarre, on est d'accord. Je me demande ce qu'elles ont bien pu se dire...
– Elles se sont faites une promesse, apparaît Hugo, piquant une frite à son ami.
– Une promesse ? répondent les deux, en chœur.
– Une sorte de pacte qui leur interdit de parler de cette soirée, vous voyez le genre.
– Mais comment tu sais ça Hugo ? s'étonne Louis.
– Vous allez me dire que je suis le seul à avoir remarqué ? s'exaspère le réservé. Vous allez me dire que c'est normal qu'Harley refuse d'aller à la bibliothèque et que Kathleen ne veuille pas manger un tacos ? Bien sûr que non, ce sont leurs activités préférées. 
– Oui, on savait qu'elles s'évitaient, merci, râle Louis.
– Kathleen ne refuserait jamais de faire quelque-chose qu'elle aime pour la présence d'une personne, et leurs regards se figent lorsqu'on évoque l'autre, vous avez vu ? 
– Tu observes beaucoup trop Hugo..., s'étonne Himiko, prenant peur.
– T'inquiète ! C'est sa spécialité. » rajoute Louis en tapotant l'épaule de son ami.
    Les amis sont tous les trois tombés sur une conclusion commune : les deux filles se comportent bizarrement. Comme tout bon ami le ferait, ils se doivent de régler cette situation. En effet, l'objectif initial étant de les rapprocher, ils ont l'impression d'avoir échoué lamentablement. Heureusement, leur créativité ne s'arrêtera pas pour si peu. Ils prévoient de les inviter sans annoncer que leur complice sera au rendez-vous, histoire de les piéger et de les pousser à se voir, malgré leurs tentatives d'esquive.

    Les trois amis tombent sur un accord : la rencontre aura lieu au Benny's. L'une des concernées ne sera pas très réticente cette idée, mais l'autre a l'habitude d'être seule pour ses repas, considérant ce moment comme une pause dans son effort intellectuel quotidien. Lui enlever une telle source de repos risque de s'avérer compliqué, même s'il ne veulent que son bien. Quoique, de toute manière, ils ne comptent pas lui laisser le choix. C'en est assez.
    La bande se sépare alors, la joyeuse partant convaincre son amie et les deux agités se dépêchant d'aller trouver la timide cachée derrière un livre. Seulement, cette dernière ne s'annonce pas présente au sein de la bibliothèque, ce qui reste assez étonnant pour les garçons. Ils savent qu'il n'y a qu'un endroit où ils peuvent trouver Harley, s'il elle n'est pas dans ce bâtiment : son coin secret. Malheureusement, il ne savent pas où se situe cette bulle.
« C'est rare qu'elle soit là-bas, soupire Louis.
– Elle doit être tracassée, elle s'y réfugie souvent lorsque c'est le cas.
– Tracassée ? Mais elle est tout le temps toute joyeuse ! s'étonne l'imbécile.
– Laisse tomber, abandonne Hugo par dépit. On attendra qu'elle revienne. »
     Du côté d'Himiko, rien ne va non plus. Comme l'autre concernée, Kathleen s'est volatilisée et ce sans même répondre aux messages, ni avoir prévenu la gentille. Après vérification, la téméraire ne se trouve pas sur le toit du bâtiment principal. Elle qui a pris l'habitude d'y monter, pour se reposer face aux altercations sociales, n'a pas l'air de s'être fait malmener. La douce ne sait donc absolument pas où peut se trouver l'agacée, et s'inquiète légèrement.

    Pendant ce temps, ignorant que son amie se fait du soucis pour elle, Kathleen admire le paysage depuis l'endroit de la dernière fois. Animée depuis par cette promesse, et des souvenirs agréables, elle ne voulait absolument y retourner. C'est donc ce qu'elle a fait, à s'être assise sur ce banc une nouvelle fois. Le seul détail qui change : il n'y a personne à côté d'elle. Aujourd'hui, la pluie laisse place au soleil rayonnant et à un vent assez doux dans sa manière de lui caresser l'échine. L'odeur elle-même change du tout au tout, passant de l'herbe humide à l'air frais et inspirant du printemps. Peu importe le moment, d'après ce qu'elle a vécu, la téméraire semble s'apaiser à cet endroit.
    Tellement l'immersion est intense, elle ne remarque pas les bruits de pas qui s'approchent d'elle. Du moins, jusqu'à ce qu'un poids se fasse ressentir sur le dossier du banc. Voilà la demoiselle, appuyée sur les coudes et munie de son sourire bienveillant. Elle laisse ses longs cheveux châtains danser au gré du temps alors que son parfum juvénile se trouve transporté jusqu'à l'agacée. C'est le regard essoufflé qu'elle indique clairement sa présence.
« Salut, s'amuse Harley.
– Salut, rétorque Kathleen, perturbée. Qu'est-ce que tu fais là ?
– C'est mon coin à la base cet endroit, boude la questionnée. C'est à moi de te poser la question normalement.
– Tu n'as pas trahi ta promesse ? s'inquiète Katie.
– Et toi Kat' ? moque la demoiselle.
– Non plus, je ne m'abaisserai pas à ça, grogne cette dernière, sans pour autant relever le surnom, contrairement à ses habitudes.
– J'ai surnommé ce coin le refuge, parce qu'on s'y sent bien et ce malgré les saisons, même si je dois avouer que l'hiver est parfois rude, pouffe la gaffeuse. Je suppose que tu ressens la même chose, non ?
– Je ne sais pas, sûrement. Je pense que notre promesse y joue, comme si j'étais libre d'être au calme en me rendant ici. C'est épuisant de recadrer ce lot d'idiots au quotidien, soupire la tempétueuse, déjà affaiblie de sa matinée.
– Tu peux être toi-même, et ça j'en sais quelque-chose. »

    Le ton de l'étudiante frôle les mauvaises ondes lorsqu'elle prononce sa dernière phrase, laissant s'installer un silence contraignant. L'agacée regarde alors celle qui ne cache plus sa tristesse, quelque peu touchée par ce que cette dernière ressent. Elle se voit quelque-part sous ce visage terni par la solitude, et laisse son cœur s'emballer par empathie. La froideur qu'elle dégage elle-même à son habitude se montre complètement naturelle chez la princesse, contre toute attente.
« Mais du coup, tu es toujours déprimée ou tu as aussi des moments de joie quand tu ne fais pas semblant ? questionne la tempérée.
– J'en ai lorsque je lis, que je découvre le monde et l'univers derrière une histoire que j'aime bien, mais j'avoue que cela reste assez rare, explique Harley. Puis là, maintenant, je me sens bien et épanouie. J'ai juste l'impression de pouvoir faire ce que je veux, sans les contraintes que je m'impose au quotidien, et c'est... Libérateur. »
    Le visage de l'étudiante s'éclaire à nouveau d'un sourire sincère, bien que léger. La tendresse de Kathleen s'éveille alors, venant renforcer son malaise avec vice. Cette fois, celle-ci accepte de ressentir ce qu'elle ressent, même si elle n'aime pas ça.
« Je t'aime bien toi, malgré l'image que je me faisais de toi, bidonne Katie.
– Ah bon ? Quelle image ? demande la concernée, surprise.
– Soyons honnêtes, tu es une satanée hypocrite, pique la téméraire. Seulement, il y a une part de sincérité dans ta gentillesse, qui n'est qu'une exagération de ta réelle nature. Et j'aime bien ça, en vrai.
– Merci..., rougit l'étudiante. Tu es drôlement sympathique, malgré la réputation que tu traînes, rigole-t-elle.
– Je ne suis gentille qu'avec peu de personnes, celles qui le méritent, séduit Kathleen, inconsciemment.
– Après tout, nous sommes liées par une promesse, ce n'est pas rien ! » rigole Harley avec innocence, gênée par l'ambiance qui s'impose.

    Le refuge a trouvé ses réfugiées. Elles s'y ressourcent pour la seconde fois toutes les deux, venant même à en oublier la vie et les obligations qui les attendent. L'atmosphère se veut de plus en plus chaleureuse, et complice. Si bien que lorsque le sujet de l'esquive arrive sur table, elles avouent une timidité commune responsable de cette ignorance volontaire. Les cours reprennent et les complices restent ici, l'autre rejoint la première sur le banc pour profiter du moment, à discuter en compagnie d'une personne qui la comprend.
    Le tout en priant pour que cette après-midi dure le plus longtemps possible. La raison de ce ressentiment, malgré son évidence, échappe à la perception des deux jeunes filles, bien qu'elles soient majoritairement différentes. Leur relation se construit donc de manière innocente, et cela a l'air de leur convenir.

Grandes sont les fautesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant