Je marche. Je ne fais que marcher et penser. J'ai l'impression que la route est infinie. Les gens qui passent à côté de moi dans leurs véhicules sont occupés, parfois la radio à fond, d'autres en pleine conversation téléphonique, mais je ne suis pas des leurs. Je ne fais que marcher et profiter, et penser. Dehors, il fait sombre. La nuit est tombée depuis longtemps et des lumières jaunies depuis longtemps éclairent la carcasse usée du pont. Quand je pense que je marche sur une structure plus vieille que moi, ça fait un coup, mais il faudrait un miracle ou un désastre pour me faire revenir sur mes pas. Ce pont, je le connais depuis que je suis petit. Je passais dessus dans la banquette arrière de la voiture de ma mère pour aller voir ma grand-mère, je passais dessus sur la banquette arrière de mon père quand on allait voir le hockey ensemble, j'ai même marché dessus avec elle. Main dans la main, nous avons observé de toute la hauteur de la structure les rapides qui passaient en dessous de nous. La nuit, l'eau prenait une magnifique couleur, un mélange entre un vert émeraude et un turquoise, produit par la lumière constante de la lune. Ce jour-là, c'était la pleine lune et nous nous sommes assis au point d'observation pendant une bonne heure, simplement à discuter des sujets les plus anodins, tout ce qui nous passait par la tête. Les notes, les amis, les professeurs embêtants, l'école qui avait besoin de rénovations, ses parents qui voulaient prendre des vacances et les mis qui étaient encore en train de se disputer pour savoir qui allait me garder pendant l'été. Dire que s'est finalement ma mère qui a gagné, elle a pu partir dans le sud avec Émile, son cinquième _chum_ depuis papa. Notre conversation était si simple, si naïve, nous étions invincibles. C'était le monde contre nous. Je regardais ses cheveux blonds, longs, qui ondulaient dans le vent et je me laissais emporter par sa voix douce et envoûtante. Dans le temps, je n'avais pas à me soucier de rien, je savais où j'allais, j'allais avec elle. Mes pieds frappaient l'eau qui se trouvait dans les crevasses dans le béton du pont. Il avait plu. Toute la journée, le ciel s'est déchaîné sur notre province et ce n'est que vers vingt heures que les intempéries se sont arrêtées, comme si elles savaient ce qui se préparait. Comme si elles savaient ce qui allait se préparer. Comme si elles savaient que j'avais besoin de sortir. Il avait tellement plu que si quelques décimètres ne séparaient pas le minuscule chemin pour piéton et la route, je me serais fait arroser par les quelques voitures qui passaient. Ce chemin, je ne sais même pas pourquoi nous l'aimons tant. Il est petit, entouré de grillage, ce qui nous donnait l'impression d'être en prison et tellement petit qu'il était difficile d'y marcher côte à côte. Pourtant, c'est ce que faisaient des dizaines de couples par an, comme en témoignaient les quelques cadenas attachés au barreau du pont, parfois de simples cadenas de casier, d'autres fois de petits cadenas mignons sûrement achetés par la fille qui s'agençaient mal avec les barreaux rouillés qui les séparaient des rapides qui se déchaînaient en dessous de la vieille structure. Je m'arrête. C'est ici que j'ai observé l'eau avec elle. Je m'en rappelle comme si c'était hier. Je me dis que c'est ici que mon voyage se termine, puis, je me rends compte que ce serait comme une insulte pour elle que je le fasse ici. Je ne peux pas lui faire cela alors, je continue à marcher. Ce n'est pas ici que tout va se terminer. Je marche. La musique qui passe dans mes oreilles dit tout sur mes émotions et ma personnalité. De la musique triste, aux paroles centrées sur l'amour qui n'est plus, sur la tristesse que la vie nous offre. Quelque chose entre dans mon regard. Quelque chose qui ne serait pas supposé être ici. Quelque chose que je ne m'attendais pas à voir. Cet éclat rose entre dans mon regard et je sais à qui j'ai affaire. Je lève mes yeux et un éclat blond me confirme ce que je pensais. C'est elle, Elle est debout, au deuxième observatoire. Elle est simplement debout, le vent dans les cheveux, ses petits écouteurs dans les oreilles, Je sais qu'elle n'est pas ici pour la même raison que moi. Elle est plus forte que moi et je l'ai toujours su. Comment elle sait que je suis ici ? Aucune idée, peut-être que c'est la silhouette noire que j'ai vu tantôt qui lui a chuchoté dans son sommeil tranquille, peut-être que tout était planifié, peut-être que je me trompe sur ses intentions et qu'elle a elle aussi fini par craquer. Je pourrais retourner sur mes pas, mais je sais que je dois aller la voir. Je lui dois au moins cela. De toute façon, je sais qu'elle m'a déjà vue, alors je continue à marcher. Je fais confiance au destin et je décide de croire. Elle s'approche tranquillement de moi, me regarde pendant un instant, puis comprend. Sans un changement dans son expression faciale, elle s'approche encore plus, me prend dans ses bras et pose tendrement ses lèvres sur les miennes. Je suis tellement détruit que je ne ressens presque rien, si ce n'est son souffle chaud et son odeur permanente de cannelle. Nous ne disons rien, nous ne bougeons presque pas, nous ne faisons que vivre le moment, parce que c'est la seule chose que nous puissions faire. Plus personne n'a d'énergie. Je le sens chez elle, je le vois sur son visage. Elle a pleuré. Nous l'avons tous fait, mais nous le sentons, ça flotte dans l'air. Le désespoir. Quelqu'un nous a réunit, ici, sur le vieux pont, sur celui de notre enfance, là où nous avons tant vécu, en plein milieu de la nuit our une bonne raison. Nous n'entendons plus les rapides. Nous n'entendons plus le bruit des voitures. Nous ne sentons plus rien. Je sens les larmes couler sur ses joues rougies par le froid. Ses mains cherchent les miennes et elles se rejoignent. Elle remonte sur mon poignet, je fais de même et nous les sentons. Des imperfections artificielles dans nos peaux. 13. 13 sur chacun de nos poignets. Elle comprend. Je comprends. Ce n'est pas fini. Si nous sommes ici, c'est pour une raison. Je ne la connais pas, elle non plus, mais je sais que c'est pour une bonne raison. Nous nous séparons, je prends sa main et nous rebroussons chemin. Rien n'est finis. Tout commence. Maintenant, c'est nous contre le reste du monde. La silhouette noire nous regarde nous éloigner et sourit. Nous partons. Nous suivons les traces de nos pas, main dans la main.
VOUS LISEZ
/L0VE HAS LEFT THE CHAT
RandomDepuis que vous êtes petits, vous y êtes exposés, comme tous les humains ayant vécus. Depuis le début des temps, cette chose existe. C'est, comme bien des philosophes le disent, ce qui fait de nous des humains, ce qui nous différencie des autres êtr...