Légendes de l'Ancien Temps

Le Prince du Labyrinthe

Il était une fois, dans une île éloignée d'ici par la distance et par le temps, un homme qui était — comme beaucoup d'autres en vérité — fils du Roi des Dieux. Cet homme s'appelait Minos, et il avait été adopté par un roi, tout comme ses deux frères. À la mort de ce roi, Minos voulut lui succéder. Pour ce faire, il invoqua Poséidon et lui demanda d'envoyer un signe qui le désignerait comme béni des dieux. Le souverain des océans lui répondit, en faisant sortir des eaux le plus beau taureau que l'on eut pu voir, blanc comme le marbre, couronné de cornes de nacre. Ce signe fut compris de tous, et l'on couronna Minos roi de Crète à la suite de son père adoptif. C'est à ce moment que Minos commit sa plus grave erreur : au lieu de sacrifier le taureau à Poséidon pour le remercier, il conserva le splendide animal dans son troupeau et en sacrifia un autre à la place. Vous vous en doutez, cela ne plut pas du tout à Poséidon, qui décida de se venger de ce mortel arrogant.

Le roi Minos avait épousé une très belle femme, nommée Pasiphaé, qui lui avait donné plusieurs enfants dont nous retiendrons surtout Androgée, le prince aîné, et Ariane, sa cadette. Puisque Minos aimait sa femme, Poséidon la choisit pour exercer sa vengeance. Avec l'aide de la déesse Aphrodite, il fit en sorte que la reine tombe éperdument amoureuse du taureau blanc, au point d'en perdre l'esprit. La malheureuse dépérissait à vue d'oeil, au point d'aller supplier Dédale, le génial ingénieur de son mari, de lui accorder son aide. Après réflexion, l'homme fabriqua une vache si réaliste qu'on s'y serait trompé, et c'est ce qui arriva au taureau blanc. Sans se douter qu'il s'agissait en réalité d'une reine humaine dissimulée dans une fausse vache, il tomba sous son charme et parvint, sans aucun doute grâce à la magie des dieux, à lui faire un enfant.

Quelques mois plus tard, à la stupeur générale, la reine Pasiphaé mit au monde un étrange bébé, qui avait un corps tout à fait humain et une tête de veau. En le voyant, Minos comprit qu'il s'agissait de la punition pour son arrogance, et il décida de dissimuler l'enfant dans les quartiers des femmes en attendant de savoir quoi en faire. Pasiphaé nomma son fils Astérion, en hommage au précédent roi de Crète qui avait recueilli son mari, et l'éleva comme elle avait élevé ses autres enfants, sans faire de différence. Androgée, déjà grand, ne fréquentait plus beaucoup le quartier des femmes, mais la petite princesse Ariane était encore assez jeune pour rester aux côtés de sa mère et de son petit frère qu'elle adorait.

Dans l'ensemble, leur enfance se déroula aussi bien que possible, peu de gens connaissaient la particularité du prince Astérion et le roi Minos n'osait toucher à cet enfant de peur d'offenser encore plus les dieux. Et tout aurait pu continuer aussi bien, s'il n'y avait eu un autre roi arrogant, régnant sur une puissante cité en bord de mer. Lors des grands jeux d'Athènes, des athlètes venaient du monde entier se mesurer les uns aux autres pour prouver leur vaillance, leur force, leur adresse et leur intelligence. Androgée s'y rendit pour porter les couleurs de son royaume et se montra si doué qu'il remporta tous les jeux, jusqu'à vaincre le roi d'Athènes en personne, Egée. Comme on peut s'y attendre, ce dernier prit très mal sa défaite, au point de faire assassiner son rival. Jugez la colère et la douleur du roi Minos lorsqu'il apprit que son fils avait été tué par le roi d'Athènes. Dans les appartements royaux, Astérion supporta encore moins bien d'apprendre la mort traîtresse de son grand frère, et le chagrin manqua lui faire perdre la raison.

Emporté par la fureur et la peine, Minos ne put supporter qu'on lui ait pris Androgée en lui laissant pour fils Astérion dont le visage de taureau lui rappelait jour après jour son erreur. Le roi fit donc venir Dédale et lui ordonna de bâtir un lieu qui retiendrait Astérion loin de son regard et l'empêcherait surtout d'essayer de venger Androgée. La dernière chose que voulait Minos était que cette créature s'échappe de son palais. Jamais à court de bonnes idées, Dédale fit construire un labyrinthe gigantesque, au plan si complexe que personne ne pourrait jamais s'en sortir. En dépit des suppliques d'Ariane et Pasiphaé, Astérion y fut enfermé. Puis Minos rassembla sa flotte et ses armées et s'en fut venger son fils, porté par une colère si grande qu'elle lui permit de vaincre sans peine Athènes. Lorsqu'il se trouva dans la salle du trône, face à Egée maintenu à genoux par ses soldats, il prononça une terrible sentence.