Tu n’étais pas un criminel. Tu avais l’allure de la bonté à coloration généreuse, humaine, belle et parée de la magnificence de cœur qu’aucun être ne déploie. Quelle erreur fut la mienne de suivre le chemin de ce dernier, celui qui, pourtant battant comme le mien et au même rythme, l’aura enfourché d’un coup de poignard aussi vivant que meurtrier.
Tu semblais conçu dans l’amour le plus profondément enraciné en cette terre, venu sur elle pour combattre la misère des plus grandes plaies humaines ouvertes, qui conduisent notre espèce à sa perte ; tu semblais être ce vaillant soldat qui tenait cette arme pour vaincre l’avènement de l’horrible en des terrains faits pour la tendresse.
Quel était alors ce déguisement que tu portais avec tellement d’aspect accommodant et aveuglant ? Pourquoi a-t-il donc fallu que ce soit en ma poitrine que tu aies à déposer cette dague qui, transperçant mon âme, a emporté avec elle tous les sillons de mon être ? Pourquoi a-t-il fallu que ce soit moi ?
Tu avais pourtant, en ton saint caractère, la température de la vie harmonieuse, permettant à toute tempérance et intelligence humaine de jaillir en toi et de te laisser parvenir en individu pleinement conscient de la distinction entre le bien et le mal. Pourquoi n’as-tu donc pas suivi cette phase vivante de ton cœur en fleurissant le doux sentiment d’affection qu’était le nôtre ?
Nous aurions pu nous aimer, comme le font ces gens qui ne se poignardent pas, sans jamais éprouver le déferlement de la rupture entre deux âmes, semblant faites pour s’aimer. Nous aurions pu découvrir toutes les faces cachées de ce monde et nous évader dans un autre, celui que nous aurions créé pour le printemps de notre liaison éternelle.
Nous aurions su et conquis les territoires que deux amants n’ont jamais traversé ou osé traverser du fait de la courte temporalité de leur union. Au contraire aurions-nous su défier toutes les strates du dangereux temps qui, même montrant son épée, tu aurais combattu pour rétablir la justice de notre amour impétueux.
Pourquoi n’est-ce donc pas lui que tu as décidé de détruire ? Pourquoi n’as-tu pas suivi le dessein de ce cœur que tu disais amoureux ? Pourquoi a-t-il fallu qu’au procès de notre désamour, tu sois sur le banc des accusés ? Sans jamais trouver la témérité suffisante pour défier la terre entière, comme tu la nommais si bien, afin de me signifier les grandeurs paroxystiques de ton affection pour moi, tu as décidé de te tourner vers moi pour me poignarder sans même que je ne pousse un seul cri, sans même que je ne te reconnaisse, sans même que je ne m’appartienne, sans même que le monde ait encore décidé de tourner. Tourne-t-il encore ? Le mien ne tourne plus, sans le tien, sans le nôtre qui, réduit au chaos, s’est résolu à exploser ce qu’il restait de ce que nous étions. Pourquoi a-t-il fallu que ce soit toi ?
N’est-ce pas moi, finalement ? Qu’ai-je fait pour que tu décides de devenir ce criminel dangereux et malveillant que tout mon corps identifie comme étant le fondement de chaque cicatrice, saignante et brûlante ? Si seulement je le savais, si je trouvais une raison suffisamment conséquente à ces plaies que tu as allumées en moi, je porterais enfin cette honte avec un solide fondement et je comprendrais la genèse de l’horreur que tu as commise, sans te rendre compte que tu envoyais mon corps se faire lentement consumer.
Je suis une criminelle de t’avoir trop aimé. J’ai l’allure d’une planche de bois mutilée par la seule personne au monde qui ne devait pas le faire, par des mains innocentes qui, désormais pleines de sang, me réduisent à l’attente de la mort, fascinante amie, tandis qu’elles devaient, au battement de mon existence, être celles de la caresse de l’amour.