Je n'entends pas. Je ne vois plus. Les envolées sont tragiques mais je ne ressens rien. Plus rien. Je m'imagine ailleurs, là où la lumière chasse l'ombre par sa présence majoritaire. Tout est sombre ici, je plonge dans les décombres. Les miettes de ce qu'il reste de moi disparaissent devant ces yeux qui ne sont plus miens. A quoi bon se débattre ?
Je n'entends pas. Je ne vois plus. La douleur n'est plus reine mais, quand ensuite vient sa tendre amie, la peine, elle réussit à creuser son empire et, elle-même, me regarde périr. Je suis gagnée par l'horreur qui s'humanise. Mais ce ne sont pas des montres, ce sont des humains. Où est donc la faille ? La suis-je moi-même ?
Je n'entends pas. Je ne vois plus. J'ai mal au corps et perds mon cœur. Lui, cette tendre secousse vitale. J'observe déjà, par-delà le miroir inatteignable de l'avenir, que je m'en vais souhaiter son arrêt secrètement désiré. Arrête-toi, cher cœur. Succombe à ces déchirures qu'ils t'affligent. Crie. Crie fort mais prends soin de ne crier que ton dernier souffle. A qui la faute, sinon la nôtre ?
La nôtre d'avoir su entendre. D'avoir su voir. D'avoir su côtoyer l'empathie, la générosité et la confiance en l'impétueuse personne qu'est autrui. D'avoir eu du courage. Non... peut-être pas assez. Pas assez de courage pour oser aller jusqu'au bout du sort mortel et sacré. Pas assez pour ne pas m'être tuée. Est-ce ce qu'ils attendent de moi ? Est-ce ce qu'il faut, pour confirmer mes émois ?
C'est le même dessin indélébile que mon cerveau crée maintenant. Pas que maintenant. Tout le temps. Sans que ces pensées ne sortent de moi-même pour crier « à l'aide ». Ma voix ne l'a pas fait, c'est vrai. Et elle s'achèvera sans l'avoir fait jamais. Parce que c'est ça, non ? Je veux dire, c'est ça notre société, ce qu'il y a autour de nous et qui ne cesse de culpabiliser les personnes qui veulent porter leur voix vers les hauteurs d'une justice encore humaine. C'est notre société qui appuie la doctrine infléchie du silence ordonné. C'est notre société qui laisse périr les victimes en les dépouillant, même si elles le sont déjà. Faites entrer l'accusé, et je m'y présenterai.
Comment ?
Comment effacer la présence indélébile d'une souffrance acquise par mon corps, mon cerveau et toute la société autour qui porte le regard sur moi ?Je n'entends pas. Je ne vois plus. Les envolées tragiques m'emportent avec elles et même la future tristesse de ceux qui restent ne saura m'en dissuader. Mes démons ont dans leur véhémence un combat à achever.
Je ne suis plus moi. Je ne suis plus rien. Et le monde autour n'est qu'un torrent interminable de miséreux chagrins.
A moi l'éternelle sensation de ne plus rien ressentir.
Car, après tout, à quoi bon vivre ?