VII

164 16 12
                                    









Les flammes cautérisent mon cœur mais pas assez pour le cicatriser complètement : la plaie restera ainsi, gravée dans la chair, quelques traces de sang se rajoutant à toutes les autres qu'elle n'a pas encore essuyé et peut-être ne le fera-t-elle jamais. Mais il ne s'agit pas de ça, il ne s'agit pas de m'aider, encore moins de me sauver ; me sauver de quoi ? De la fatalité du quotidien ne m'inspirant rien d'autre qu'un immense vide insupportable, des quelques objectifs ne m'ayant jamais suffit pour vivre pleinement, pour profiter du monde qui m'entoure puisqu'il ne m'a jamais assez intéressé, puisqu'il ne m'a jamais assez captivé pour se faire : le monde était si morne lorsqu'il n'était pas orné de boucles d'Orient, de ses petits sourires toujours subtils, toujours discrets, de ses yeux d'un charbon crématoire avec lesquels elle nous regardait de haut, moi comme tous les autres, nous ne sommes rien, nous ne sommes que des parasites et si elle le souhaitait, elle nous décimerait d'un seul geste. Mais elle est clémente, elle ne le fait pas, elle s'assoit tout en nous observant, tout en me regardant faire ce qui m'anime un peu, attraper mon appareil ou sa main, embrasser ses joues creusées, toucher ses cheveux ou me coucher sur elle. Elle ne dit rien, me laisse toujours faire mais ne doit pas penser à la douceur de mes lèvres ou à l'amour émanant de mes yeux, elle doit penser à ces lettres, à ces putains de lettres et à cette putain de blonde ; le feu me paraît froid, il pourrait m'emporter avec les cendres si je le voulais.

La dernière lettre termine de la même façon que les autres, je ne les ai pas lues non plus, celle de la veille m'a suffit : de la poussière et deux âmes perdues, elle n'interférera pas avec la quiétude la mienne jusqu'à ce que je le décide et je l'en empêcherais jusqu'à m'en voir mourir. Elle ne pourra s'immiscer à travers elle, à travers nous, elle ne pourra tenter quoi que ce soit, elle pourra même venir jusqu'ici pour la supplier de revenir vers elle mais je l'en empêcherais et même s'il ne s'agit pas d'une menace en soi, ce n'est qu'une banale fille de notre âge comme on l'en croise des milliers ici, je sais qu'il suffirait que Zineb revoit son visage pour la rejoindre et ainsi, me lâcher. Ou peut-être suis-je en train de paniquer pour rien, peut-être qu'elle l'a déjà oubliée et ce serait la continuité, elle aurait ouvert ces lettres si elle lui portait encore quelconque attention. Elle s'en fiche autant qu'elle se fiche du monde autour d'elle mais je sais qu'elle ne se fiche pas de moi, elle ne me laisserait pas si proche sinon, elle m'aurait fuit depuis nos premiers instants mais elle ne l'a pas fait parce qu'elle savait autant que moi que l'on avait besoin l'un de l'autre pour exister, pour naître et se mettre à grandir. Je suis né depuis deux mois, je me dois de continuer d'évoluer, de ressentir de nouvelles choses comme de ne jamais prendre les anciennes pour acquis, je me dois d'être le Achille le plus immense possible, le Achille dont elle aura confiance et avec qui elle pourra tout dire, tout faire, et elle le sait, il suffit d'un son de sa part pour que je devienne ce qu'elle veut que je sois, il suffit d'un sourire de miel pour que le monde s'écroule.

Molenbeek est un grand quartier : des rues qui s'étendent et se mélangent, énormément de personnes qui se baladent un peu partout, marchant en direction du marché, discutant entre elles des derniers ragots ou de leurs enfants, de leurs voisines, des enfants courent un peu partout pour se réfugier devant leurs immeubles, la plupart ne sont pas très grands, la mairie n'abrite personne à cette heure-ci sauf quelques mecs de ma génération postés devant, ou pas loin, d'autres en moto sur les routes, d'autres en vadrouille devant tous les magasins maghrébins, d'autres devant le coin des immeubles un peu plus grands, et justement, parmi eux se trouve Saghir, tout clinquant dans sa nouvelle doudoune. Ses cheveux sont dissimulés sous un bonnet de marque noir, il discute avec un grand, je crois qu'il s'appelle Samy, je sais d'avance qu'il se mettra à crier en me voyant, non pas de colère mais d'amusement parce qu'il se moque toujours de ma dégaine à chaque fois et c'est bien pour ça que je ne l'aime pas. Je m'écarte de la poubelle abritant mes petites cendres avant de me mettre à marcher vers eux, ils ne m'ont pas encore vu puisque j'étais beaucoup plus loin ; j'arrive en face, serre la main de tous les gars présents, je les connais tous à cause de l'algérien qui, me voyant débarquer, me saute dessus en manquant de nous faire tomber tous les deux. Je rigole, il rigole aussi, fait signe à ses amis avant de se mettre à marcher avec moi ; il abandonne son Univers entier pour moi, je devrais en être flatté et je l'aurais été si je n'étais pas préoccupé par d'autres conneries.

DANS LES PLEURS ET LE SANGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant