EPILOGUE

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La couleur de ce ciel si dense, pourtant si peu accueillant me semble rester similaire à chaque fois qu'une telle situation se présente ; un azur un peu foncé, portant sur l'océan malgré les rayons astraux caressant son essence lorsqu'il en a le droit, lorsque le monde se voit bordé d'une lumière qu'il ne mérite pas. Une infinité de corps tous aussi différents les uns des autres, présents au sein d'un même territoire, population d'un Univers si vaste, gargantuesque, personne ne se connaît, personne ne se côtoie, les âmes se croisent sans savoir ce que l'autre abrite, ce que l'autre a vécu, il suffirait de quelques jours pour apprendre tellement de choses mais personne ne le fait, personne ne se préoccupe de personne, chaque être ne possède que quelques autres essences dont il peut se soucier mais, en réalité, les personnes d'un même cercle ne se connaissent véritablement jamais. Le ciel est d'un bleu sans fin, le bleu de la fin du monde, le bleu de l'infinité des mers, le bleu d'avant nuit, un bleu majestueux duquel les enfants ont peur, duquel les filles se méfient, duquel les garçons sentent un signal, le signal qu'il faut partir, qu'il faut ramener l'argent, qu'il est possible qu'ils ne reviennent pas après que ses teintes se soient métamorphosées, le bleu de la frayeur, de l'angoisse la plus pure et la plus incontrôlable mais pourtant, celui à qui appartient ce bleu ne s'est jamais laissé faire, jamais.

S'asseoir ou rire avec quelques corps tous plus divers, des visages que l'on reconnaît, des sourires que l'on apprend à apprécier, des blagues pour lesquelles nous pouvons rire aux larmes et des pensées qui se rejoignent, qui s'accordent selon le sujet abordé, la complexité des relations avec les autres soi qui ne sont finalement qu'un sombre reflet de ce que l'on voudrait qu'ils soient, une image que l'on se fait d'eux de la même manière qu'ils se font certaines images de nous, de moi, selon ce que je renvoie, ce que je fais, ce que je dis et non ce que je pense, qu'est-ce qu'ils feraient de mes pensées de toutes les façons ? Même si je le souhaitais, même si je voulais connaître mes pairs en leur essence, non en leur substance à laquelle je me suis habitué, peut-être ne me laisseraient-ils pas, peut-être me diraient-ils de m'occuper de mes affaires, peut-être serait-il trop tard, peut-être mentiraient-ils pour ne pas que j'en sache trop ; et j'en ferais de même, la perspective que quelqu'un pourrait tout savoir de moi, de ce que je pense chaque jour, chaque soir, de mes motivations les plus profondes et de mes états d'âmes toujours plus bouillants, plus désordonnés, la seule pensée de savoir que quelqu'un ne me perçoit plus seulement mais me connaît, sait à quel point de me voir là, devant ce miroir cassé en son plein centre, le regard aussi cerné que la veille et la lèvre griffée de mon dernier combat, les bras tremblants et le teint jaunâtre, les yeux gonflés en tant que séquelles de ce matin, me donne envie de vomir. D'imaginer quelqu'un connaître les moindres détails de mon enfance jusqu'à maintenant, des séjours à l'hôpital de mon père jusqu'aux sauts d'humeur de ma mère, de l'accident comme des plaies toujours béantes, ne me présage rien de bon et pourtant, il y a bien une âme, une seule âme assez proche de la mienne pour être en mesure de la lire et de la comprendre sans un mot, avec un simple sourire.

Tu sais qu'il s'agit de toi. 

Je me souviens de ce jour comme si je l'avais vécu hier, comme si tout avait été joli mirage après celui-ci ; le ciel était toi, aussi apeuré que tu l'avais été cette journée-là et, sans que je le sache encore, je pensais à toi et je me disais qu'il suffirait simplement que l'on s'en aille, que l'on parte loin d'ici tous les deux pour que tu n'aies plus peur, pour que je sois heureux. Lorsque je t'évoquais ce scénario, assis par terre ou couché sur ton lit, à l'horizontal, tu me rejoignais et nous peaufinions nos plans comme s'il s'agissait d'un projet de la plus haute importance et je me souviens clairement de tes envies : une plage aussi vaste que la forêt sibérienne, la mer d'un bleu foncé et le sable orangé, un ciel gris aux nuances de rouge et surtout, une voiture où l'on dormirait pour en payer le moins possible. Tu disais que tout te convenait tant que tu voyais cette mer un jour, tu n'as jamais arrêté de la voir dans tes rêves et tu me le racontais tout le temps, toujours le même : tu y étais seul, assis sur le sable et tu regardais l'horizon, cet horizon que tu voyais toujours si noir. Lorsque tu me racontais ces petits détails, mon envie de tout arrêter, de tout abandonner, ma famille comme les horreurs dont j'étais piégé, ne faisait qu'accroître ; je voulais tant que tu puisses la voir. Et le ciel de cette journée n'était pas le gris que tu cherchais, loin de là, il était d'un bleu ardent, embrasé et je savais qu'il ne préludait rien de bon, j'avais raison : enfermé dans ma salle de bain depuis une heure, ou peut-être un peu plus, je tentais de me convaincre de me lever pour aller te voir parce que j'avais besoin de ça, de te parler, encore plus après ce qu'il venait de m'arriver et en réalité, en y repensant, je me dis que le bleu n'était pas seulement le tien, il était tout aussi mien : j'avais tellement peur.

DANS LES PLEURS ET LE SANGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant