XII

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"Je vais faire vite, inutile de me rappeler ensuite parce que je ne répondrais pas et j'ai surtout rien d'autre à te dire : je rentre au Coq, je suis déjà dans le train et je ne veux plus rien avoir à faire avec toi alors oublie-moi, fais comme si nous ne nous étions jamais croisés."

Ni plus, ni moins.

La Lune se montre entre quelques nuages discrets, brillante au-dessus des toits du monde, de ce monde que je ne reconnais pas. Le Soleil est là lui aussi, j'imagine qu'il est heureux d'être en vie en même temps que son âme-sœur, que son cœur même scintillant si fort qu'il en brûlerait des rétines, d'autres âmes ne partageant pas cette chance inouïe d'être aimé, d'aimer sans limites et sans risques, quel risque autre que celui d'être vulgairement abandonné ? Ils ne se voient jamais, ne se croisent que rarement, s'admirent de loin avec la seule pensée de se lier à l'autre une éternité durant et pourtant, ils n'arrêtent jamais, leur amour continue de perdurer, ils ne se restreignent pas, ils ne partent pas ; les astres sont heureux, ils dansent pour peu, ils sont ce que l'Univers préfère, ses plus immenses créations, les étoiles et les nébuleuses, les supernovas et les météorites, les satellites permettant aux humains d'en faire de même : se réveiller, vaquer à ses occupations, aimer, toujours plus, toujours mal, n'importe comment, souffrir, espérer. L'Univers sait pertinemment ce qu'il fait, il n'a pas besoin de consulter qui que ce soit, il n'a nul besoin de se remettre en question, il sait que les Hommes ne sont bons qu'à se plaindre, qu'à geindre et attendre, qu'à souffrir si violemment que certains ne le supportent plus, que d'autres tentent de se soulager de n'importe quelle façon, souvent viles, autodestruction, alcool, drogue, violence, scarification, relations charnelles, validation, nourriture, sentiment de contrôle, fierté, objectifs aléatoires, argent, femmes, passion, rien n'a jamais sauvé à long terme, tout finit par aggraver, tout est toujours pire, rien n'est jamais assez bien, assez correct, tout est toujours décevant, détestable, nous ne sommes rien à côté des astres heureux, nous ne sommes rien à côté de ces autres Hommes amoureux, nous ne sommes rien, nous sommes si faibles, misérables, je suis faible.

«Elle se fout de moi... C'est pas possible autrement, non ?»

Un regard peiné, une main attrapant mon téléphone pour réécouter le message et un visage aussi minable que le mien, je ne le reconnais plus, je ne sais pas de qui il s'agit, était-il déjà là tout à l'heure ? Mes pieds s'enfoncent dans la moquette, n'était-elle pas marron jusqu'ici, je ne sens plus mes jambes, je ne pourrais pas me lever et je n'ai de toute manière rien à faire ailleurs que sur ce lit vieux comme le monde, plus vieux que mon âme qui n'a plus rien à faire, à penser, je ne vois plus rien, je ne le sens plus, sa présence, il écoute en boucle le message, je l'entends encore et encore, encore, encore, encore, encore, encore, est-ce qu'il va s'arrêter, encore, encore, encore, il dépose le téléphone entre nous, je l'entends encore, encore, encore, encore, je ne pensais pas qu'elle le ferait vraiment, du moins pas maintenant, encore, il est inutile de la rappeler, encore, il est inutile d'aller la chercher, encore, il est inutile d'être en vie puisque je dois tout oublier en commençant par ma naissance, encore et encore ! Je ferme les yeux, je ne vois qu'elle et ses boucles, celles ornant son dos un peu courbé lorsqu'elle marchait, lorsqu'elle était assise et elle ne s'asseyait jamais normalement, elle n'y arrivait apparemment pas, elle était toujours affalée comme si le monde lui appartenait et c'était vraiment le cas, ce sera toujours le cas. Je ne vois qu'elle et son regard toujours noir même lorsqu'elle était sereine, peut-être ne l'a-t-elle jamais été finalement, je ne pourrais lui demander puisqu'elle ne veut plus entendre parler de moi, encore, encore, encore, qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que j'ai pu dire, encore, ses lèvres toujours entrouvertes, ses joues rouges de haine qu'elle n'a jamais pu sortir, son cou marqué de traces qu'elle détestait autant qu'elle me déteste moi, il est inutile de la rappeler, il est inutile de la chercher, il est inutile de ressasser un passé qui ne m'appartient plus en même temps que son existence même que j'avais juré de garder près de la mienne.

DANS LES PLEURS ET LE SANGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant