VI

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Une addiction.
Un besoin d'alourdir le cœur qui n'avait jusqu'ici rien senti, besoin viscéral de ressentir, d'exister d'une manière ou d'une autre et souvent de la plus mauvaise façon : la drogue, l'alcool, des effets secondaires et quelques sensations, l'impression d'être ailleurs mais l'impression d'être essence, l'impression de remplir le vide existentiel et ainsi, une satisfaction qu'on ne pourrait recevoir autrement. Les mauvaises substances, quelques belles choses, même les éléments les plus inoffensifs peuvent devenir nocifs suivant ce qu'on en décide, ce qu'on en créé : des boissons énergisantes, du sucre, des personnes, de l'amour, des craintes, certains sentiments, quelques pensées, comment ressentir davantage, comment devenir quelqu'un de plus noble, de plus présent, comment me trouver, comment vivre sans ce constant fardeau d'être là sans raison, sans réelle motivation si ce n'est la peur de l'échec, la peur de décevoir ou d'être le reflet de son père, si ce n'est l'anxiété perpétuelle au travers du phénomène même de l'existence et de tout ce qu'il englobe. La vie, la mort, ce qu'il y a autour, entre, se faire des amis, se battre, courir, rire, nager, regarder le ciel, sentir le Soleil nous incendier l'épiderme, tomber amoureux, aider, sauver, réfléchir, toujours réfléchir à des éléments qui n'importeront plus dans cinq ans, devenir son pire ennemi sans l'avoir fait exprès, dans cette même quête de sens et d'essence, se faire du mal, se saboter, développer des relations malsaines aussi bien avec son entourage qu'avec des aliments, des substances, des objets, des habitudes. Se laisser porter par un nouvel amour un peu plus rouge que tous les autres et s'y noyer avec plaisir et cécité, penser que celui-ci saura répondre à nos interrogations et ainsi y placer toutes ses peurs, mêmes peurs qui n'ont plus de fondement lorsque je la vois en face de moi, aussi calme qu'une statue grecque, aussi lumineuse que Sirius.

Je me souviens de chaque jour, chaque instant comme si je les vivais en continu, mon esprit refuse de passer à autre chose, de songer à mes anciennes préoccupations qui pourtant m'animaient assez pour me faire tenir : quand est-ce que je recevrais ma paye, à quelle heure est-ce que je commence demain, cela fait combien de temps que je porte ce jogging, j'espère qu'il sera toujours en vie lorsque je sortirais de ma chambre, je m'en voudrais si ce n'était pas le cas, je me demande s'il aimerait que je passe un peu plus de temps avec lui ou s'il ne fait plus attention à rien d'autre qu'à ses souvenirs, je me demande si je devrais lui montrer ce que j'ai vu l'année dernière, la photo de famille de ma mère et les siens, je pense qu'il serait dévasté, mais peut-être qu'il passerait enfin à autre chose, est-ce qu'il a mangé, il oublie parfois, est-ce qu'il est allé travailler, est-ce qu'il va bien, devrais-je aller voir Saghir, je n'ai pas la force de me lever, mes jambes me paraissent si lourdes, il faut que j'aille travailler, je déteste ce boulot de merde, est-ce qu'on m'acceptera dans l'école que je vise, je dois ranger la maison, je dois me lever, je dois sauver le monde. Toutes ces pensées ne me galvanisent plus, il suffisait d'offrir quelque chose de nouveau à mon âme pour l'occuper de la meilleure des façons, l'obliger à réfléchir pour d'autres choses, des éléments peut-être plus profonds, plus tellement de surface, comme par obligation de répondre aux critères que l'on impose aux gens : s'occuper de soi, s'occuper de sa famille, en être impliqué, être totalement disponible et dévoué à cette famille qui ne m'aura pas tant servie et qui n'était pas là lorsque j'en avais besoin, je n'ai en réalité jamais eu besoin d'elle, ni de qui que ce soit puisque je sais ce que je veux, je sais où je vais et en un sens, je savais qu'aujourd'hui sonnerait le glas, je savais que son doux regard m'emmènerait là. 

Lors de notre balade en forêt, nous n'étions qu'en novembre et voilà que maintenant, nous sommes en janvier et pourtant, il ne fait pas froid, il n'a jamais fait froid. Le Soleil brille pour ceux qui veulent bien le voir, pour ceux avides de chaleur et de bonnes ondes ; il se couchera bientôt, le ciel s'orne de quelques ornements rougeâtres, il suffirait de cligner des yeux pour que la nuit tombe enfin mais personne n'y prête encore attention, les passagers s'affolent entre les carrefours et les magasins, entre les fast-foods et les grandes places. La ville danse en toutes ses heures, il n'y a rien de plus immense que cette capitale si vivante même dans les recoins les plus éloignés du centre-ville et si je le pouvais, je rejoindrais cette fanfare ; je termine dans une heure, je dois patienter. Devant moi, un groupe de lycéens, trois filles et deux garçons, ils rigolent entre eux et prennent du temps à choisir leur commande. Les filles n'arrêtent pas de me fixer en se chuchotant quelques mots dans l'oreille, l'un des gars se décide à parler au nom de toute sa camaraderie, je prends sa commande avec ennui, lui demande de payer en espérant qu'il s'active, les clients derrière s'impatientent un peu, ils n'ont qu'à utiliser les bornes, je remercie la carte bleue et avant de partir préparer un McFlury, l'une des filles m'interpelle pour me demander mon prénom, ainsi que l'un de mes réseaux sociaux. Ma collègue explose de rire, je ne sais que répondre dans l'instant, complètement dérouté par une demande aussi audacieuse qu'absolument incongrue puisqu'elle est mineure, et n'est pas censée parler aussi familièrement à un vulgaire employé. 

DANS LES PLEURS ET LE SANGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant