IX

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Est-ce que tu m'entends ?
Si tu m'entends, je voudrais que tu ne dises rien, j'aimerais que tu m'écoutes jusqu'à la fin et je ne sais si je parlerais beaucoup, les sentiments sont tellement dissipés. Je n'arrêterais jamais de me demander si, comme moi, cela t'arrive de penser à moi sans raison ni précision, si tu me vois dans chacun de tes gestes, à chaque regard que tu lances aux silhouettes, aux objets, à l'Univers autour de toi, si tu agis pour moi, en fonction de moi, si tu me vois dans tes rêves dans les infimes moments où tu t'endors parce que tu ne dors pas beaucoup, presque jamais. Tu m'avais dis que tu aimais la nuit et tout ce qu'elle a à offrir, que tu l'aimais tellement que tu ne pouvais la gâcher et ce jour-là, tes cernes étaient si prononcées que j'aurais cru parler à la mort elle-même ; ton teint foncé ne l'était plus tellement, bien trop pâle, mais tu semblais aller bien parce que tu profitais des astres, tu profitais du calme et aussi, tu t'approchais plus près, tu m'aimais un peu plus. Je n'arrêterais jamais de me dire que tu n'es là que parce que je te l'ai demandé, qu'il suffirait d'un rien pour que tu disparaisses et d'ailleurs, rien ne te retiens, le monde t'appartient et si tu le décidais au moment même où je m'adresse à toi, tu pourrais partir sans jamais revenir, courir sans même te retourner, bien plus forte qu'Orphée. Je continuerais, chaque nuit, lorsque je ne dors pas non plus, à me demander devant la Lune interdite si tu continues de penser à elle quand même bien j'avais promis de te la faire oublier ; peut-être me prends-tu pour un menteur, peut-être me détestes-tu de ne pas être assez fort, peut-être me trouves-tu faible et tu aurais raison de le penser, pourquoi ne fais-tu aucun effort pour l'oublier ?

Rien n'est réel, je ne sens plus le sol. Si tu continues de m'écouter en cet instant, alors que la pénombre s'affaisse à chaque seconde pour permettre aux astres de se reposer, pas assez puissants de toute façon, alors j'espère que tu mentais lorsque tu m'as parlé de nous, lorsque tu m'as dis que je ne serais capable de rien, que tu étais libre et qu'il fallait laisser le temps faire son œuvre parce que tu le sais bien, tu sais parfaitement quelle sera son œuvre : tu retourneras au Coq sans prévenir, sans un mot, tu retrouveras ta maison, ta plage et la seule pour qui ton cœur continue de battre en dépit de la gêne bruxelloise, de cette merde d'Achille n'ayant servi à rien si ce n'est à te faire croire que tu pourrais recommencer, tout oublier. Tu le sais, tu me connais, tu sais que je ferais n'importe quoi pour toi, pour que tu restes, pour que tu te remettes à sourire de bon cœur, pour que tu sois la véritable Zineb et non celle qui fait semblant, celle qui paraît n'être que le reflet d'elle-même et un reflet froid, hautain. Tu sais que je donnerais tout pour que tu restes avec moi, tu m'as permis de naître après dix-huit ans d'errance et d'attente, tu m'as permis de voir le monde autrement, de le voir en sa globalité pour me l'approprier, en faire ce que je souhaite, devenir la meilleure version de moi, le Achille le plus grand que la Terre ait connu, tu m'as tant donné, tant montré, il ne m'est plus possible de perdurer sans toi, il ne m'est plus possible d'incarner quoi que ce soit si tu n'es plus à côté de mon âme, de mon cœur ne battant plus que pour toi.

Tu n'es pas encore partie ? Tu m'as dis que tu ne comptais pas me laisser, tu m'as dis que tu comptais rester, que tu ne prévoyais pas de partir et qu'il me fallait continuer de te transmettre les sentiments me parvenant, les plus forts et les plus affligeants, des émotions sans structure, une âme si nourrie de nouvelles expériences qu'elle ne sait plus comment se comporter, comment respirer, peut-être aurais-je succombé bien tôt si tu n'avais pas été là pour me tenir la main. Tout a été si rapide, furtif, tu es venue sous un grand jean et une ficelle, tu as posé ton regard sur le mien et tu m'as montré la paix, les astres les plus lointains, tu m'as tendue la main puis tu m'as frôlé la peau, tout est allé si loin, ton corps près du mien, tes cheveux entre mes doigts et tes joues entre mes mains, l'écarlate du ciel sur tes lèvres et le goût de la vie, celui de tous les moments passés l'un avec l'autre, l'un près de l'autre, nos soirées dans ma voiture, nos nuits sur des parkings, dans des forêts, près de ruisseaux ou de champs vidés de substance, chez toi ou chez moi, à écouter de la musique pendant que tu écris, pendant que je trie et développe quelques photos, tu m'as tellement poussé à reprendre une activité que je ne faisais plus tellement, la fatigue et le manque de motivation, tu m'as poussé à voir les choses autrement, à m'écarter de la fatalité pour me laisser guider par mes pulsions, celles d'être en vie et d'aimer à en mourir, de faire ce qu'il me plaît dans l'instant sans songer au futur, ni au passé, à justement remettre en cause les événements passés pour mieux m'en débarrasser parce que je n'avais jamais vraiment réfléchi, je n'avais pas forcément fait de lien entre avant et maintenant, je n'avais jamais écouté l'enfant que j'incarnais, l'adolescent que je fuis. Si tu n'avais pas été là, je n'aurais jamais senti la plaie, ni les traces de sang sur mes bras.

DANS LES PLEURS ET LE SANGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant