Il faisait doux en cette soirée de Juin 1940. Le soleil s'affaissait à l'horizon illuminant la campagne d'un halo doré. On pouvait encore entendre les oiseaux chanter et percevoir, au loin, les rires joyeux d'enfants qui profitaient du climat pour s'amuser dehors. Oui, décidément, c'était une très belle soirée de fin de Printemps.
Pourtant, prise d'un frisson, la jeune fille installée sur les escaliers de sa maison resserra étroitement le tricot qu'elle portait.
Ils étaient là. Proches. Très proches. Ils s'étaient battus, elle le savait. Durant cinq jours, l'armée française avait tentée de repousser l'ennemi se tenant aux portes de la ville. Mais ils étaient inférieurs en nombre et, surtout, en armement. Lille avait cédée, l'ennemi était entré.
« - Pas inférieurs en courage... » songea-t-elle.
Pourtant, elle n'avait pas perdu espoir. La France ne s'était pas rendue : il y avait toujours une chance que le combat s'inverse. Malgré cela, au fond d'elle et comme beaucoup d'autres, elle savait que ce moment était inéluctable : le moment de la défaite, de la capitulation.
La journée avait pourtant si bien commencé ! En ce 17 Juin 1940 Sarah, qui était institutrice à l'école de son village, avait passé la matinée en extérieur avec ses élèves. En dépit de leurs jeunes âges, elle savait bien qu'ils étaient inquiets. Le conflit, la « drôle de guerre » comme on l'appelait, était le centre de toutes les conversations dans les foyers du village. Les enfants n'y échappaient pas. Pour les distraire et leur rendre un peu de leur joie, la jeune femme avait accepté qu'ils fassent des jeux dans la cour de l'école toute la matinée.
Tous attendaient l'allocution du Maréchal Pétain qui devait avoir lieue à midi vingt. Ainsi, l'institutrice avait libéré ses élèves pour l'après-midi. Ceux-ci, ne se faisant pas prier, avaient décampé sitôt la fin de la classe annoncée. Sans doute avaient-ils peur que l'institutrice ne change d'avis.
Sarah avait souri à cette idée et avait quitté sa classe en regardant les enfants s'éloigner à toutes jambes.
Elle était arrivée dans la petite maison de sa mère quelques minutes plus tard. Alice Moisson était une femme robuste âgée de cinquante ans. En l'observant, Sarah n'avait pu s'empêcher de songer à quel point sa mère avait dû être belle dans sa jeunesse. Malgré son visage abîmé par le temps, les cernes qui entouraient ses yeux et sa chevelure dorée qui devenait grisonnante, Alice gardait un visage parfaitement sculpté. Pourtant, la vie ne l'avait pas épargnée. Son mari avait été envoyé au front et avait été tué en Juin 1918, dans l'Oise, à quelques mois de l'armistice. Alice, qui était alors enceinte de Sarah, avait mise au monde sa fille seule début 1919. Sarah n'avait jamais connu son père, mais sa mère s'était efforcée de continuer à le faire vivre en lui parlant très souvent de lui. Parfois, la jeune fille avait l'impression d'entendre sa voix et de l'apercevoir au travers d'un éclat de lumière, dans l'embrasure d'une porte ou encore dans les ombres de la nuit . Elle était très fière de son père et chérissait sa mémoire, tout comme sa mère. Malgré tout celle-ci avait gardé une profonde amertume, après la guerre, envers ceux qu'elle nommait « les Boches ».
Sarah avait aujourd'hui vingt-et-un an. On lui disait souvent qu'elle ressemblait à sa mère. Elle s'était souvent regardée dans le miroir à la recherche de ces ressemblances. Pourtant, au contraire de sa mère, Sarah était dotée d'une magnifique chevelure noire qui lui arrivait en bas du dos. Elle était assez grande pour une femme de son temps : un bon mètre soixante-cinq. Sarah était aussi gracile que sa mère mais ne possédait pas son caractère calme et avenant. En observant les photos de son père, elle avait compris qu'elle tenait plus de celui-ci que de sa mère. François avait été un beau jeune homme brun et dans la force de l'âge. Plus grand que la majorité de ses camarades, il arborait toujours un sourire espiègle sur les photos que Sarah avait observées.
En entrant dans la petite pièce, elle avait embrassé la petite femme et s'était installé à ses côtés. Dans le silence, elles avaient attendues que le Maréchal Pétain prenne enfin la parole.
A midi-vingt, ce fût l'hécatombe.
« Français !
À l'appel de M. le président de la République, j'assume à partir d'aujourd'hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l'affection de notre admirable armée, qui lutte avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires contre un ennemi supérieur en nombre et en armes, sûr que par sa magnifique résistance elle a rempli son devoir vis-à-vis de nos alliés, sûr de l'appui des anciens combattants que j'ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.
En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés, qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l'honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités.
Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n'écouter que leur foi dans le destin de la patrie. »« - Le lâche ! Le traître ! s'était alors écriée Alice. Mon pauvre François, qu'elle honte ! Salir ainsi sa mémoire, son courage ! Le traître ! »
Alice s'était alors levée et, sans un regard pour sa fille, avait quitté la pièce. Sans doute était-elle allée au monument aux morts, comme de nombreux villageois avaient du le faire après l'allocution.
Pétrifiée, Sarah n'avait pas bougée d'un centimètre. Elle avait entendu sa mère et les anciens du village parler de la Grande Guerre et des horreurs qu'avaient commis les Allemands. Sarah avait toujours écouté et posé des questions mais n'avait jamais pris l'ampleur de ce que la Guerre avait représenté pour ceux l'ayant vécue. Elle se rappelait des histoires de viols, des fusillés, des restrictions, des bombardements... mais de bien d'autres choses horribles.
Prise d'une soudaine angoisse, Sarah s'était alors rendue sur les escaliers de sa maison et n'avait quasiment pas bougé de la journée. Le regard dans le vide, elle songeait à ce qu'allait bientôt être la vie mais, surtout, à ce qu'elle avait été et ne serait désormais plus.
Ils seraient bientôt là. Elle le savait. Et elle était terrifiée.
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L'Aigle Noir
Historical FictionDurant la Seconde Guerre Mondiale à Boiscourt, un petit village situé dans les actuels Hauts-de-France, les villageois sont contraints d'accepter l'installation des soldats allemands dans la commune. Mais malgré son apparente docilité et les restric...